Fanzine au ton volontiers sarcastique, rubriques originales, enquêtes à la manière d’un polar : comment transformer l’urgence climatique en récit cool ? Avec la sortie en kiosque du numéro 8 de son trimestriel, Climax confirme son approche décalée. Pour Soluble(s), Millie Servant, rédactrice en chef, dévoile les coulisses d’un média qui bouscule les codes.
Le podcast Soluble(s) se penche régulièrement sur le travail des médias, car ils peuvent faire partie de la solution. Dans son rapport de 2022, le GIEC rappelait que les médias “ont un rôle crucial dans la perception qu’a le public du changement climatique, sa compréhension et sa volonté d’agir“.
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Un média né de la satire technologique
Climax trouve ses racines dans TechTrash, newsletter satirique lancée en 2017 par Dan Geiselhart et Lauren Boudard. « A partir des années 2020, ils ont observé que finalement, le bullshit (baratin mensonger) s’était déplacé. Là où avant tout le monde disait, on va faire notre grande révolution numérique, on commençait à entendre des discours qui disaient, on va tous faire notre grande révolution écologique« , explique Millie Servant. Cette observation a donné naissance en mai 2021 à Climax, d’abord sous forme de newsletter gratuite décryptant le greenwashing avec humour mordant.

Photo : Climax, 2025.
Le média a rapidement évolué vers un magazine trimestriel de 116 pages, lancé en 2022 malgré l’explosion des prix du papier. « C’était vraiment un choix, pas forcément très entrepreneurial« , reconnaît la rédactrice en chef, « mais c’était ce qui nous faisait envie, c’était ce qui nous faisait plaisir. »
Un format fanzine assumé qui casse les codes
« Ce qu’on aimait bien, nous, là-dedans et ce qu’on a voulu revendiquer, c’était l’état d’esprit. C’était un format un peu passionné, qui casse les codes du journalisme« , explique Millie Servant. L’équipe voulait créer « le média qu’on avait envie de lire sur la question de l’écologie qui n’existait pas jusqu’à présent. »
Cette approche décalée a trouvé son public : Climax revendique aujourd’hui « une communauté ultra-engagée » avec 82 000 abonnés sur Instagram, 40 000 abonnés à la newsletter, 15 000 abonnés sur LinkedIn et 10 000 exemplaires vendus par numéro. Ces chiffres témoignent de l’appétit du public pour un journalisme écologique différent.
Un cocktail de pop culture et de satire écologique
Climax se distingue par son mélange unique de références pop et de ton sarcastique. L’équipe multiplie les rubriques atypiques : « la foire aux concepts bidons » épingle les projets farfelus de stars (la ville d’Akon, les projets urbains foirés d’Elon Musk ou Google), tandis que « l’anti-bilan carbone » interroge des personnalités sur leur rapport à l’écologie.
Dans cette séquence, les invités se livrent sans filtre. Ambre Chalumeau, écrivaine et journaliste pour l’émission « Quotidien » sur TMC, y avoue ses contradictions. Par exemple, certains invités vont avouer « avoir cliqué sur des pubs pourries pour planter des arbres ou avoir 10 000 tote bags, avoir fait pipi sous la douche ou pas« , détaille Millie Servant. Le média propose aussi des BD sur quatre pages, des « nécros » parodiques d’espèces disparues et même des recettes de cuisine prétextes à raconter des histoires folles.
« Filous du climat & éco-mafieux » : quand l’écologie emprunte au polar
Le dernier numéro « Ambiance Scandale ! » illustre parfaitement l’approche Climax. Conçu comme un polar d’été, ce dossier « Filous du climat & éco-mafieux » explore « combines vertes, crimes déguisés en innovations, blanchiment à base de feuilles couleur chlorophylle. Car derrière les grandes causes et les beaux discours, les arnaques prospèrent. » « On sait que les gens aiment bien lire des polars l’été« , justifie la rédactrice en chef, « on s’est dit finalement, on va utiliser ce format du polar pour raconter ces histoires et pour les raconter de manière la moins plombante possible. »
Son reportage sur « la trash connection » nous plonge dans une décharge sauvage, en pleine nature, dans le quartier de l’Estaque à Marseille avec le journaliste Mattéo Parent. Il y rencontre Jean-Yves Sayag, « lanceur d’alerte du dimanche » devenu conseiller métropolitain délégué à la propreté après avoir filmé une décharge derrière son snack et posté sa vidéo sur Facebook. Cette enquête révèle des chiffres vertigineux : 30% des transferts de déchets en Europe seraient illicites, générant 9,5 milliards d’euros annuels – à peine un milliard de moins que le trafic de cocaïne.
Climax ouvre aussi ses colonnes à l’ancien flic Olivier Norek, « roi du polar qui pulvérise les records de vente en parlant écologie, réfugiés et fin du monde », illustrant cette volonté de croiser les univers pour mieux informer.
Une approche éditoriale qui mise sur l’émotion
« Nous, ce qu’on voulait, c’était raconter des histoires qui sont en fait des prétextes pour parler d’écologie en toile de fond« , détaille Millie Servant. L’équipe privilégie les récits surprenants pour embarquer des lecteurs non-écolos, héritant d’un lectorat tech qui les a suivi depuis TechTrash. « On voulait une approche plus émotionnelle« , précise-t-elle.
Cette stratégie s’appuie sur un refus assumé des codes visuels traditionnels : « On s’est interdit de faire une couverture verte avec des arbres ou des ours en train de couler sur des icebergs qui fondent ou des planètes en feu. » L’objectif : « que les gens, ils se disent ah ouais, en fait, pour une fois, on m’a parlé d’écologie, j’ai trouvé ça cool ! »
Un modèle économique indépendant et engagé
Climax fonctionne sans publicité, financé par crowdfunding, abonnements (dès 5€/mois) et des prestations réalisées en parallèle avec leur studio dédié « Allez bisous » (anciennement Courriel) pour des clients comme France Travail, Veja ou la BNF. L’équipe de cinq permanents collabore avec quinzaine de freelances. « L’objectif, ce n’est pas de faire de l’argent, ça se saurait si les médias indépendants étaient des machines à cash ! », ironise Millie Servant.
Le média assume sa critique du capitalisme : « Nous, on assume cette critique du capitalisme parce qu’on sait qu’elle est à la source des problèmes écologiques qu’on rencontre actuellement. » Cette position s’appuie sur un travail journalistique rigoureux avec sources croisées et enquêtes terrain.

Crédit : DR.
Documenter la révolution culturelle en cours
Climax mise sur la couverture de « la révolution culturelle » en cours pour inspirer, informer et contrer la fatigue informationnelle qui touche 54% des Français, et plus particulièrement 60% des 18-34 ans (Fondation Jean-Jaurès, décembre 2024). « On pense qu’il y a un mouvement de société, un mouvement culturel, une prise de conscience et une mise en action des citoyens. Et c’est ça qu’on a envie de documenter plus que finalement l’actualité de l’environnement à proprement parler« , explique Millie Servant.
Co-auteure de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique avec Climax (1800 journalistes signataires en leur nom et des dizaines de rédactions et organisations dont Climax, Vert, Reporterre, Blast, Mediapart, 20 minutes, RFI, France 24…), elle observe une évolution positive du traitement médiatique, mais déplore la persistance de désinformation climatique sur certaines chaînes.
Simon Icard (rédigé avec IA)
POUR ALLER PLUS LOIN
- Visiter le site et s’inscrire à la Newsletter gratuite de Climax.
- Commander au numéro ou s’abonner : https://shop.climaxfanzine.fr/
- Se rendre en kiosque en France ou en librairie (17 € 50).
TIMECODES
00:00 Introduction
01:19 Le parcours de Millie Servant
03:43 La naissance de Climax
07:24 L’approche unique de Climax
09:38 Les sujets de Climax
11:38 Ambiance scandale – Le dossier sur les Éco-Mafias
15:38 Les rubriques du magazine
19:25 La « révolution climatique »
24:14 L’engagement et le journalisme
28:22 Le modèle économique
33:25 Les vidéos & Instagram
35:39 L’évolution du traitement médiatique de l’écologie
39:18 Merci à Millie Servant !
40:09 Fin
CITATIONS
En direct de Millie Servant, rédactrice en chef du média Climax
– Sur : La prononciation du nom Climax à l’anglaise ou à la française
« Alors non [pas de prononciation officielle] pour moi, ça dépend des jours et de l’heure et de l’envie du moment. »
– Sur : La raison de créer un magazine papier
« [En 2021] On s’est dit que finalement, on était un peu limité par ce format newsletter qui est assez court et assez formaté, c’est un espace de liberté, mais qui est quand même contraint. »
– Sur : L’enquête sur les décharges sauvages
« On a trouvé que cette histoire, elle était intéressante parce que, plutôt que de faire un papier ennuyeux et factuel et scientifique sur l’impact des décharges sauvages, etc. On va aller chercher des histoires de gens qui vont nous embarquer. »
– Sur : Le type de sujets traités
Sur : Le rôle des médias écolos
« On ne prétend pas ne pas avoir de convictions, on les affirme. »
– Sur : La critique du capitalisme
« Nous, on assume cette critique du capitalisme parce qu’on sait qu’elle est à la source des problèmes écologiques qu’on rencontre actuellement. »
– Sur : Le modèle économique
« Il n’y a pas de pub dans les 132 pages… et on a fait ce choix-là et on continuera à le faire parce que c’est ce en quoi on croit. »
– Sur : L’évolution du journalisme environnemental
« On a quand même. Voilà, je pense en prenant cette initiative [la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique] et en mobilisant largement autour de nous… ça a quand même marqué et fait changer les choses.
«Il y a plein d’initiatives comme ça [Le JT Météo-Climat sur France Télévisions] qui vont dans le bon sens. Le problème, c’est qu’il y a aussi plein d’initiatives qui vont dans le mauvais sens…»
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