[TRANSCRIPTION] Comment protéger les papillons ?
BIODIVERSITÉ. Les papillons sont exposés à une double crise, le déclin de la biodiversité et le réchauffement global en cours de notre planète. Dans les deux cas, les activités humaines sont en cause.
Écouter plus tardPour Soluble(s), Caroline Nieberding, biologiste et professeure d’écologie terrestre à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, décrypte les menaces qui pèsent sur ces insectes qui occupent une place essentielle dans la nature et pour le vivant.
Transcription (automatisée)
Bienvenue dans ce nouvel épisode de Soluble(s).
Aujourd’hui, je vais en savoir plus sur les papillons, leur rôle dans la nature et pour le vivant, les menaces aussi qui pèsent sur ces insectes et les solutions pour les protéger.
Bonjour Caroline Nieberding.
Merci de votre invitation.
Merci d’être dans Soluble(s).
Vous êtes biologiste, chercheur, professeur d’écologie terrestre à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.
On va voir ensemble comment vous avez mis en évidence de nouvelles menaces et des mécanismes qui pèsent sur la survie des papillons.
Et on ne va pas parler que du réchauffement climatique, mais d’abord dites-nous ce qui vous a amené à travailler au milieu des papillons, car c’est littéralement le cas dans votre laboratoire.
Effectivement.
Donc les papillons, c’est un modèle d’étude très intéressant parce que les gens aiment les papillons.
Et donc on regarde et on compte des papillons depuis des dizaines d’années partout dans le monde, ce qui fait que c’est un groupe taxonomique, comme on dit, un groupe d’animaux qu’on connaît très bien.
Et du coup, on sait aussi que ça va mal pour eux, parce qu’on voit que les nombres de papillons décroît année après année dans notre environnement.
Et qu’est-ce qui vous a amené, vous, personnellement, à étudier les papillons?
Ce qui m’intéresse, c’est un organisme qui a un temps de génération court, ce qui fait qu’on peut faire des expériences en ayant des successions de génération dans le laboratoire de quelques semaines.
Donc on peut accumuler énormément de données aussi, au-delà de cet aspect un petit peu de modèle pour les gens.
Et c’est aussi une espèce bio-indicatrice, puisque les papillons sont très fragiles.
Et donc les papillons qui disparaissent, ça témoigne de l’ensemble de l’écosystème dans lequel ils vivent qui va mal, même si les autres espèces parfois résistent un peu plus longtemps.
Alors on va voir cela ensemble dans le détail.
Et vous le disiez, les papillons ont une belle image.
Tout le monde aime les papillons, à la différence d’autres insectes.
Pourtant, on observe que nous ne les protégeons pas assez.
Expliquez-nous concrètement en quoi les papillons jouent ce rôle essentiel pour la nature et le vivant.
Alors le rôle des insectes et des papillons en particulier dans l’environnement, c’est parfois une question qui peut poser un problème au niveau éthique, parce qu’on cherche finalement à justifier la protection d’une espèce par son utilité, notamment pour les activités humaines.
C’est ce qu’on appelle les services écosystémiques et clairement, c’est une façon de justifier les efforts qu’on pourrait faire pour la conservation de certaines espèces.
Pour les papillons, ils ont des rôles, notamment de pollinisation de nos cultures.
Il faut savoir que 84 % des plantes en Europe qu’on cultive dépendent de la pollinisation, donc ont besoin d’insectes pour pouvoir produire les graines dont on va se nourrir.
Ce n’est pas les pollinisateurs principaux de l’Europe.
Il y a des abeilles qui sont beaucoup plus connues.
Au-delà des services écosystémiques que rendent les papillons, ce sont des témoins de l’état de santé de notre environnement dont on fait partie.
Si l’environnement va mal, on va mal aussi en fait.
Ce sont des témoins, quelles sont les principales menaces qui pèsent sur ces espèces, sur les papillons?
C’est l’action de l’homme, comme toujours, j’ai envie de dire.
Comme toujours, malheureusement.
Donc, la crise de biodiversité de façon générale, pas que pour les papillons, elle est due à l’action de l’homme.
Ça s’est très bien documenté par l’IPBS, qui est en fait le GIEC des biologistes, et qui a fait un rapport global en 2019.
Et dans ce rapport, on voit que le principal problème lié aux activités humaines, c’est le changement d’usage des terres.
C’est le fait qu’on transforme à peu près, à l’heure actuelle, 75 % de toutes les terres émergées sont modifiées par les activités humaines.
Et la principale activité, qui est du coup le principal problème aussi pour les papillons, c’est l’agriculture industrielle.
50 % de la surface terrestre est couverte d’agriculture industrielle ou d’élevage industriel.
Et tout ce qu’on met dans nos champs, c’est-à-dire aussi les insecticides, ça tue en fait les insectes et donc évidemment les papillons.
Les insecticides font pose à cette menace.
Est-ce qu’on peut aussi parler de l’habitat des papillons en particulier avec l’urbanisation?
Je pense parce que de nombreux chiffres indiquent que la population de papillons diminue vraiment drastiquement dans nos villes.
Alors déjà dans les villes, c’est pas l’habitat naturel des papillons.
Et donc vous avez tout à fait raison de dire que le deuxième changement majeur d’usage des terres chez nous et dans le monde, au-delà de l’agriculture, c’est l’urbanisation.
Et donc de facto, il n’y a normalement pas de papillons dans les villes puisqu’ils ont besoin d’un habitat naturel.
Chez nous, en Europe, l’habitat naturel, c’est les forêts.
Et ces forêts ont été longtemps transformées pour l’activité humaine.
Donc, en fait, on a beaucoup d’ouverture dans ces forêts.
On a aussi des prairies ouvertes de flore.
Et ça, c’est ce qui est idéal, en fait, pour une grande diversité de papillons.
On a très peu de ces habitats-là.
J’en viens à votre récente étude scientifique sur la reproduction des papillons.
Pouvez-vous nous dire ce que vous avez souhaité observer concrètement?
Alors, concrètement, il y a d’autres menaces aussi qui pèsent sur la biodiversité, incluant les papillons.
De la principale menace est notamment le réchauffement climatique qui est beaucoup plus médiatisé.
Alors, ce qu’on sait concernant le réchauffement climatique, c’est que ça produit en fait un déplacement des populations animales, dont les insectes, vers des températures plus fraîches.
Dans l’hémisphère nord, les populations, les aires de distribution des espèces migrent vers le nord.
Mais simplement, on ne sait pas grand-chose de plus concernant les réponses des populations au réchauffement climatique.
Et ce que notre étude a montré, c’est que ç’a modifié aussi en profondeur le comportement sexuel des papillons.
Et malheureusement, ç’a tendance à accentuer les problèmes, puisque les accouplements, en fait, sont moins adaptés qu’auparavant, ce qui risque d’accélérer l’extinction des espèces.
Le réchauffement climatique, c’est une notion qui, évidemment, est dans l’actualité maintenant quotidiennement, mais qui peut paraître un peu éloignée de tout un chacun en termes concrets.
Vous avez observé précisément, au niveau de la température, que vous avez fait des simulations.
Est-ce que vous pouvez nous en dire plus?
Oui, bien sûr.
Les climatologues qui sont rassemblés dans le GIEC, qui depuis 30 ans quantifient réellement le réchauffement climatique, donc là, on a 1,2 degrés d’augmentation de température mondiale par rapport à 1850, ont aussi des prédictions par latitude plus localisées.
Et donc, nous, c’est ce qu’on a fait.
On a simulé le réchauffement climatique sur les 100 prochaines années dans le pays d’origine des papillons que je peux élever au laboratoire, et qui viennent du Malawi.
Et en fonction du scénario, vous savez que les climatologues disent qu’en fonction de nos réponses et de nos changements d’activité humaine, ça va chauffer plus ou ça va chauffer moins.
Donc, on a utilisé différents scénarios.
Mais chacun de ces scénarios aboutit à la même réponse, qui est que les papillons qu’on élève à plus haute température dans ces régimes prédit qu’ils auront dans 100 ans, vont en fait produire des formes qu’on appelle phénotypiques.
Donc, ils ont une forme différente, ils ne se ressemblent pas.
Et ces formes ne vont pas être adaptées au climat tel qu’on l’aura dans 100 ans.
Vous le savez, nous sommes, et vous êtes aujourd’hui dans un podcast de solutions.
J’aimerais voir avec vous les solutions autour desquelles la communauté scientifique s’accorde pour préserver les insectes et notamment les papillons.
Quelle est la priorité selon vous?
Vous m’avez parlé du réchauffement climatique, mais aussi de l’habitat, sur quoi agir?
Donc, on peut agir au niveau global, donc c’est des réponses structurelles.
On peut agir au niveau individuel.
Alors, il faut savoir que les principales réponses vont être structurelles.
Donc, ça ne sert à rien de culpabiliser les gens parce qu’au jour le jour, ils ne font pas des actions importantes.
Mais c’est important de comprendre où le global peut agir.
Et donc, il faut connaître l’origine du financement actuel des subventions de l’agriculture industrielle qui vient de la politique agricole commune, donc de l’Europe, où 25 % du budget est en fait alloué à l’agriculture industrielle.
Et ça fait à peu près quand même 40 à 60 milliards d’euros par an.
Et tant qu’on finance et qu’on subventionne essentiellement l’agriculture industrielle, alors à ce moment-là, on continuera à mettre énormément d’intrants, donc ces fameux insecticides qui tuent directement les insectes, mais aussi en fait toute une série d’intrants qui augmentent la richesse des sols et qui malheureusement vont en fait faire disparaître les sols pauvres et les plantes auxquelles sont adaptées naturellement les papillons.
Ça, c’est au niveau global.
Au niveau individuel, on peut réagir aussi.
Donc la principale chose à faire, sincèrement, c’est au niveau de son alimentation, manger bio.
Si vous mangez bio, ça veut dire, vous refusez l’application de toute une série d’intrants dans les champs et donc vous redonnez une chance à la biodiversité de se redéployer au-delà des réserves naturelles qui ne suffisent pas clairement.
La deuxième chose pour les gens qui ont la chance d’avoir un jardin, il y a toute une série de mesures bien connues spécifiquement pour les papillons, dont je peux vous parler si vous le souhaitez.
Oui, bien sûr, beaucoup de gens, je suis sûr, parmi nos auditrices, nos auditeurs se demandent ce qu’ils veulent faire à l’échelle individuelle dans leur jardin.
On le fait sur leur balcon.
Comment améliorer les choses en tout cas devant chez soi?
Alors, il y a plein de choses à faire.
Et si vous voulez en savoir plus, précisément un podcast, c’est court.
Il y a notamment des fiches techniques qui sont disponibles au niveau de la Wallonie, pour la Belgique.
Je suis certaine que ça existe aussi en France.
Mais globalement, il faut laisser un petit peu l’ensauvagement revenir dans le jardin.
Donc, par exemple, tondre beaucoup plus rarement, et même essayer de limiter les zones de tondre pour ne pas tondre tout le jardin en même temps.
Ça, ça va faire revenir des fleurs.
Pour les haies, c’est pareil, arrêtez les haies de thuyas, retournez en fait à des haies avec des essences naturelles locales qui sont pleines de fleurs et qui du coup fournissent du nectar aux insectes, et particulièrement aux papillons.
Et ne les taillez pas évidemment quand elles fleurissent.
Ensuite, vous pouvez aussi vraiment, dans les haies, vous pouvez mettre des aubépines, vous pouvez mettre des pruneliers, des nerfs bruns, des arbres fruitiers, tout ça, c’est très parfait.
Évitez aussi donc tous les intrants, c’est-à-dire ne mettez plus d’engrais dans votre jardin, parce qu’au pied, votre herbe, elle va être magnifiquement verte, mais en fait, c’est un désert biologique.
Il vaut beaucoup mieux en fait appauvrir le sol et donc aussi enlever votre tonte du jardin, mais ne rien rajouter, pour que des plantes qui sont adaptées à nos sols plus pauvres puissent arriver, qui sont justement les plantes sur lesquelles se nourrissent ces papillons.
Puis, il faut que vous sachiez aussi que ces papillons, ils sont déjà protégés.
La moitié des espèces qu’on a en Belgique et en France, et donc en France, on a à peu près 250 espèces de papillons de jour, elles sont protégées parce qu’elles sont en voie d’extinction à court terme.
Donc, c’est hyper important en fait d’augmenter les populations de nouveau de ces papillons, pour éviter la consanguinité et puis l’extinction de ces espèces dans vos régions.
Et pour ce faire, les papillons ont deux étapes cruciales.
Donc, se nourrir, j’en ai beaucoup parlé, mais aussi, la larve doit se nourrir, donc pas à l’état adulte qu’on connaît moins bien, la larve doit se nourrir et elle se nourrit de plantes.
Et ces plantes sont souvent spécifiques à chaque espèce de papillon de jour.
Alors, il y a des espèces plus généralistes.
Si vous laissez vos orties, vous allez permettre à 5, 6, 7 espèces de papillons de se développer à l’état larvaire.
Sinon, vous pouvez aussi laisser toute une série de plantes plus spécifiques, qui alors sont vraiment particulières à chaque papillon.
Allez voir sur les sites ce que vous voulez faire revenir dans vos jardins.
On laisse quelques orties donc dans le jardin, merci, c’est passionnant.
J’indique aux auditrices, aux auditeurs qui pourraient être en Belgique ou se rendre à Bruxelles qu’un événement, une exposition est en cours jusqu’au mois de novembre 2023.
Ça s’appelle Animalia et vous jouez un rôle.
Est-ce que vous pouvez nous donner envie d’y aller, de nous expliquer de quoi il s’agit tout simplement?
C’est une expo qui est vraiment unique pour trois raisons.
La première, c’est que les artistes se sont emparés des problèmes environnementaux et les ont transcendés.
Du coup, c’est beau à voir comme exposition.
On a la chance d’avoir cette expo dans le musée du train, avec des magnifiques machines auxquelles ont été ajoutées des sculptures animales en taille réelle, plus vraies que nature, une quarantaine par un sculpteur très connu en Belgique.
Et donc, on a ce dialogue machine-animaux qui est assez impressionnant.
C’est un peu comme de l’art nouveau, en fait.
À l’époque, on avait le fer qui était mélangé à l’art floral.
La deuxième raison, c’est que c’est la première fois qu’on parle, en fait, de la crise de biodiversité en dehors des musées d’histoire naturelle.
Donc, on a fait un énorme effort scénographique pour rendre cette crise de biodiversité intelligible et intéressante.
Et la troisième raison, c’est que je suis accompagnée de l’ancien vice-président mondial du GIEC pour les aspects de climatologie.
Donc, c’est aussi la première fois qu’on parle des dérèglements climatiques et de la crise de biodiversité en même temps.
Et c’est important parce que ce sont des causes qui sont en partie les mêmes, des conséquences qui sont en partie les mêmes pour nous les humains.
Et les solutions sont en partie partagées pour ces deux types de crises.
Voilà, donc c’est juste que début novembre.
Je mettrai le lien dans la description.
Et maintenant, Animalia, donc à Bruxelles en Belgique, merci d’être passée dans Soluble(s) Podcast qui médiatise les solutions.
Merci Caroline Nieberding.
Je vous en prie Simon, merci beaucoup pour votre temps.
Voilà, c’est la fin de cet épisode.
Si vous l’avez aimé, notez-le, partagez-le et parlez-en autour de vous.
Vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site internet.
csoluble.media.
À bientôt.
Écoutez l’épisode complet. (Seul le prononcé fait foi)
TIMECODES
00:00 Introduction
00:59 On observe que le nombre de papillons décroit années après années
01:23 Ce qui a amené Caroline Nieberding à étudier les papillons
01:59 Les différents “rôles” des papillons dans la nature et pour le vivant
03:12 Les menaces qui pèsent sur les papillons
04:11 L’urbanisation et les atteintes à l’habitat naturel des papillons
05:01 Une étude scientifique menée par Caroline Nieberding montre que le réchauffement climatique impacte la reproduction des papillons et pourrait accélérer l’extinction de certaines espèces de papillons
07:16 Quelles solutions pour préserver les papillons ? Sur quoi agir au niveau global et individuel ?
09:06 Jardins individuels : laissez l’ensauvagement revenir pour aider les papillons
11:34 Focus sur l’exposition Animalia qui se déroule au Musée du train à Schaerbeek en Belgique
13:13 Merci à Caroline Nieberding !
13:43 Fin
Propos recueillis par Simon Icard.
POUR ALLER PLUS LOIN :
- Les ressources “comprendre la crise de la biodiversité” sur site web de la professeure d’écologie terrestre, Caroline Nieberding
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