Il n’y a plus de frontière nette entre la vie réelle et le monde numérique. Pour Soluble(s), François Saltiel, journaliste et producteur à France Culture, spécialiste du numérique, décrypte le quotidien des familles françaises connectées et partage ses clés pour renouer un rapport apaisé, lucide et constructif aux écrans. Co-auteur, avec Virginie Sassoon (CLEMI), du livre « Faire la paix avec nos écrans » (Flammarion), il s’appuie sur leur expérience familiale : une adolescente de 17 ans, deux garçons de 9 et 6 ans, et près de dix appareils connectés à la maison.
📄 Résumé

Pexels.
Selon le baromètre officiel du numérique 2025, on compte en moyenne 9,4 écrans par foyer en France, et les enfants de 6 à 17 ans passent plus de 4 h 11 devant les écrans chaque jour (hors temps scolaire), tandis que les adultes s’approchent de 4 h 36 au quotidien, tous supports confondus (voir repères en fin d’article).

Pexels.
« Le smartphone, c’est ‘l’écran total’ » explique François Saltiel. Il amplifie la captation d’attention et bouleverse la sphère familiale. Les parents sont devenus “dealers et gendarmes du temps d’écran”, oscillant entre le plaisir de la connexion et la vigilance sur ses risques : « On est une famille connectée, consciente de ses dangers, mais aussi de ses facteurs positifs. Le numérique peut être un outil d’émancipation autant que d’aliénation, il faut savoir faire preuve de technodiscernement. »

Pexels.
Pour décrire notre époque, François Saltiel et Virginie Sassoon proposent le concept de société « amphinétique » : un monde où la vie connectée et la vie déconnectée alternent sans rupture, traversant toutes les émotions et les espaces du quotidien.

Photo copyright : DR.
L’art de la parentalité numérique
« On est la première génération de parents à devoir être confrontés au numérique qui a bouleversé la sphère familiale. Il n’y a pas de mode d’emploi : on découvre et on apprend en marchant. Les enfants sont de fins négociateurs — tout ce qu’on leur demande, ils le retournent très vite contre nous ! » Pour instaurer un cadre partagé, François Saltiel insiste sur la nécessité d’un contrat réciproque que le couple signe avec leurs enfants : « Ce n’est pas toi contre les écrans, c’est toi et moi contre les écrans. On signe des pactes qui engagent les deux parties. »

DR.
La méthode P.L.A.Y. : routine familiale au quotidien

Pexels.
La technique concrète adoptée dans leur famille, la méthode P.L.A.Y., se vit au quotidien :

Partager : Dialoguer autour des usages numériques, accompagner les enfants, regarder ensemble, instaurer la confiance. On pourrait demander : “Comment s’est passée ta journée en ligne ?”

Libérer : Organiser des moments sans écran, valoriser l’ennui créatif et les alternatives désirables (jeux, activités communes).

Accueillir : Prendre en compte les émotions suscitées par les écrans (joie, colère, frustration) et ouvrir la parole, en admettant la vulnérabilité de chacun.

Yes or No : Poser des limites claires mais négociables, construire et faire évoluer collectivement le cadre familial.
Technoférence et JOMO : retrouver le lien et la déconnexion joyeuse
François Saltiel insiste sur la notion de technoférence, ce moment où l’écran interrompt une relation ou une émotion : « La technoférence, c’est quand le téléphone coupe un lien direct avec son enfant, parfois juste pour une notification. »
Face à la captivité grandissante des grandes plateformes numériques (GAFAM, TikTok, etc.), il rappelle le manque d’interopérabilité : « Pour nos amis et nos archives sur les réseaux, tout reste prisonnier de la plateforme. On est captifs des GAFAM » Il appelle à un droit au transfert des données, et à une autonomie des usages renforcée par l’éducation aux médias.
Pour conclure, François Saltiel prône le “Joy Of Missing Out” (JOMO), retrouver la joie de la déconnexion choisie : « On croit qu’il faut vraiment développer l’idée que c’est ringard d’être connecté tout le temps. Retrouver le plaisir de manquer, de se couper du flux, pour mieux profiter du moment présent. »

Faire la paix avec nos écrans, ce n’est pas s’en priver, mais remettre du dialogue, du plaisir partagé et du bon sens familial au cœur des usages numériques. « On ne peut plus rien attendre des GAFAM. La solution ne viendra que de nous, et ça ne passe que par l’éducation aux médias. »
Ecoutez.
Simon Icard (avec IA)
POUR ALLER PLUS LOIN
- Lire : « Faire la paix avec nos écrans », Flammarion https://editions.flammarion.com/faire-la-paix-avec-nos-ecrans/9782080476845
Écouter : François Saltiel à la radio sur France Culture ou dans l’application Radio France :
- 8h50 : “Un monde connecté” chaque matin
- “La Fabrique de l’information”, le vendredi à 14h
Et aussi :
- Le site du Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI)
- Le Baromètre du Numérique 2025 (Credoc, en PDF)
TIMECODES
00:00 Introduction : Faire la paix avec nos écrans
01:55 Le parcours de François Saltiel : le numérique comme fenêtre sur le monde
03:39 Le smartphone : l’écran amplificateur qui a tout bouleversé
04:49 La réalité des parents : osciller entre « gendarme » et « dealer »
06:23 La « parentalité numérique » : une génération de pionniers
08:29 Sentiment d’impuissance et fin du mythe du « monde virtuel »
11:37 Une clé du dialogue : « Comment s’est passée ta journée en ligne ?
12:46 La méthode P.L.A.Y. (Partager, Libérer, Accueillir, Yes/No)
16:17 La captivité numérique : comprendre le piège des données
18:57 L’interopérabilité : pourquoi on ne peut pas emmener ses abonnés avec soi
20:09 L’éducation aux médias : notre seule véritable arme
22:21 « La Fabrique de l’information » sur France Culture
23:23 Merci à François Saltiel
24:48 Fin
Repères officiels et statistiques sur les écrans (novembre 2025)
- Enfant 3-5 ans : 1 h 22 par jour de temps d’écran (Santé publique France, 2025)
- Enfant 9-11 ans : 2 h 33 par jour (Santé publique France, 2025)
- Enfants 6-17 ans : plus de 4 h 11 par jour hors temps scolaire
- Adultes français : 4 h 36 par jour devant un écran, tous supports confondus (Baromètre du Numérique 2025)
- Nouveau carnet de santé depuis janvier 2025 :
- Pas d’écran avant 3 ans
- Usage exceptionnel et accompagné entre 3-6 ans
- Pas de smartphone connecté avant 13 ans
- Pas d’accès seul aux réseaux sociaux avant 15 ans (inscription supervisée à 13 ans) - Vers un nouvelle loi ? Le 18 novembre 2025, la députée Laure Miller (Renaissance) a déposé une proposition de loi visant à l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans, un couvre-feu numérique 22h-8h pour les 15-18 ans. Elle fait suite aux conclusions alarmantes d’une commission d’enquête parlementaire sur TikTok concernant l’impact sur la santé mentale des mineurs.
_
Ecouter aussi
Enfants et adolescents : les protéger des écrans. Oui, mais comment ?
Derrière les chiffres du harcèlement scolaire : comprendre et agir
Comment les boîtes aux lettres Papillons libèrent la parole des enfants victimes de violences
Comment naviguer dans le chaos de l’info ? Avec Benoît Raphaël




