[TRANSCRIPTION] À Marseille, “Le présage” cuisine à la chaleur solaire
Cuisine locale donc énergie locale ! À Marseille, un ingénieur reconverti en chef cuisinier et entrepreneur s’est demandé comment utiliser une source d’énergie locale, abondante et “gratuite” pour faire tourner les futurs fourneaux de son restaurant.
Pierre-André Aubert a résolu cette équation en se tournant vers le soleil pour lancer “Le présage”, le premier restaurant solaire d’Europe.
Transcription (automatisée)
Bienvenue dans ce nouvel épisode de Soluble(s).
Aujourd’hui, je souhaite médiatiser la démarche d’un ingénieur devenu chef cuisinier et entrepreneur.
Son énergie, il appuise dans le soleil.
Bonjour, Pierre-André Aubert.
Bonjour, Simon.
Vous êtes le fondateur du Présage à Marseille, un établissement que vous avez conçu autour d’un objet absolument central.
Je veux parler de votre fourneau solaire.
Pouvez-vous nous le décrire?
Oui, bien sûr.
Un fourneau solaire, c’est un fourneau qui fonctionne grâce à l’énergie solaire.
Et le principe est assez simple.
C’est un miroir assez grand, puisqu’il a une surface de 8 mètres carrés, qui va concentrer la lumière, un peu comme une loupe, à l’intérieur du fourneau, dans un second miroir qui lui va le renvoyer sous une plaque en fonte.
Vous voyez, c’est comme les vieux fourneaux à bois, où on avait ces anneaux et on pouvait mettre du bois à l’intérieur.
Là, c’est la même chose, sauf que finalement, c’est de la lumière concentrée qui vient taper directement sous la plaque en fonte et qui la chauffe jusqu’à 400°C, 450°C, au point le plus chaud.
Et après, on peut déplacer les casseroles sur les côtés.
Et donc, on a toutes les températures pour cuisiner.
Dans cet épisode, on va voir en effet concrètement comment ça marche, comment ça permet de faire tourner une guinguette, un restaurant guinguette.
Mais d’abord, je voudrais revenir sur votre vision.
Pourquoi avez-vous choisi de vous lancer dans la cuisine solaire?
Alors, c’est un cheminement qui m’a amené à ça.
Moi, je suis de formation ingénieur en aéronautique.
J’ai bossé pour Airbus, le Safran, l’Agence spatiale européenne en France et à l’étranger.
Et puis, après quelques années dans ce domaine, j’ai eu envie de me réinventer et j’ai passé un CAP de cuisine.
Donc, c’était il y a 12 ans et je suis devenu cuisinier il y a 12 ans avec juste l’envie de cuisiner et d’ouvrir un restaurant un jour.
Mais je n’avais pas encore cette idée de solaire.
Et c’est en travaillant, en faisant mes classes, en travaillant dans différents restaurants que j’ai affiné un petit peu ma connaissance de ce métier.
Et j’en suis arrivé à un point où je voulais vraiment cuisiner que des produits locaux.
Et je me suis donc posé la question est-ce que je pourrais cuisiner ces produits locaux avec de l’énergie locale?
Et voilà, originaire de Marseille, où on a à peu près 400 jours de soleil par an, ça me semblait logique d’utiliser l’énergie solaire.
Et voilà, c’est un peu comme ça qu’est né le projet.
Il n’existait pas d’outils professionnels pour faire de la cuisine à la française grâce à l’énergie solaire.
Il y avait des choses qui existaient un peu.
Donc voilà, j’avais mis un petit collectif autour de moi et on a lancé ce projet-là.
Il y a quasiment dix ans, les premières recherches et tests.
Alors, on va revenir sur ce fonctionnement, mais surtout sur le fonctionnement de votre établissement.
Du coup, grâce à cette énergie locale, une question qu’on peut se poser, est-ce que la cuisson solaire impacte le goût et le choix des plats?
Est-ce qu’on peut tout cuisiner avec ce système?
Alors, il y a plusieurs réponses possibles.
La première, est-ce qu’on peut tout cuisiner quand il y a du soleil?
Oui.
Mais évidemment, il y a des recettes qui consomment plus d’énergie que d’autres.
J’en ai une qui est très facile à comprendre.
Si on veut faire des pâtes dans un restaurant pour 30 personnes, il faut faire bouillir une grosse quantité d’eau.
Et faire bouillir de l’eau, c’est ce qui coûte le plus d’énergie à un restaurant.
Quand on doit faire bouillir autant d’eau, c’est ce qu’on fait en premier dans la rentrée en cuisine avant tout.
Et donc là, par exemple, nous, on ne fait pas de pâtes au restaurant solaire parce que ça coûte trop d’énergie pour faire un tout petit peu de nourriture.
Donc, on fait d’autres recettes.
Ça nous arrivait de faire des pâtes comme un risotto, ce qui consomme moins d’énergie du coup.
Mais voilà, ça, c’est typiquement le style de recette qu’aujourd’hui, on ne met pas en route.
Pour autant, et pour répondre à la deuxième question par une pirouette, savoir si ça change le goût, j’allais dire, est-ce que, voilà, cuisiner avec amour, est-ce que ça change le goût également?
Je pense qu’honnêtement, la première chose, c’est les produits.
Évidemment, la qualité des produits.
Et ensuite intervient l’art du cuisinier, de savoir à la fois les cuire et les assaisonner.
Et puis, peut-être après, il y a un peu de magie.
Et peut-être que le fait que ce soit cuisiné au soleil amène un peu de magie.
Donc, ce grand miroir est installé en extérieur.
Il concentre la lumière, les rayons du soleil.
Et c’est un effet un peu comme on connaît quand on est enfant, avec une loupe, en fait.
Exactement.
Et une loupe, c’est de la lumière qui traverse un vitrage qui va concentrer derrière.
Là, il y a une réflexion.
Donc, la lumière tape sur le miroir qui incurvait et qui donc va renvoyer la lumière en la concentrant.
Ce miroir est bien à l’extérieur, vous l’avez dit.
Et en fait, on va concentrer l’énergie à travers un mur.
Donc, il y a une ouverture dans le mur à l’arrière de la cuisine.
Et donc, ça rentre à l’intérieur de la cuisine et à l’intérieur du fourneau.
Et c’est là où on a un deuxième système.
Et que nous, on a vraiment développé pour pouvoir renvoyer ce faisceau de lumière concentré sous cette plaque en fonte.
On parle beaucoup de la facture énergétique et notamment celle des entreprises.
Arrivez-vous à mesurer l’impact économique de votre système solaire de cuisson?
Alors oui, on arrive à mesurer cet impact économique.
Aujourd’hui, on a mis énormément de moyens pour pouvoir développer ce prototype.
Donc, évidemment, ce n’est pas un outil qui, aujourd’hui, nous, apporte un bénéfice économique qu’on crée à court terme.
Par contre, on est en train de développer la suite du projet.
Et ce qu’on voit, c’est que nous, quand on construit, qu’on achète, qu’on développe, qu’on a ce fourneau solaire, en fait, on achète également 20 ans d’énergie.
Et on sait à quel prix on achète puisque le prix, bon, ce fourneau est plus cher qu’un fourneau à gaz, par exemple.
Mais évidemment, une fois que je l’ai, toute l’énergie que j’utilise, elle est, entre guillemets, gratuite.
Donc, c’est ça qui est un peu atypique, c’est qu’il y a peu de business qui imaginent acheter les 20 prochaines années de consommation d’énergie et de l’intégrer comme une partie du business.
Donc, forcément, ça oblige à avoir un apport d’argent au début.
Mais bon, après, c’est (..).
Une énergie d’abondance locale.
Vous prenez donc le locavorisme.
D’où viennent les produits que vous utilisez, les aliments que vous cuisinez.
Vous êtes à Marseille.
On a la chance, du coup, d’avoir beaucoup de maraîchage dans la ville de Marseille, que ce soit à Marseille même avec quelques petits producteurs qui sont dans Marseille et qui travaillent régulièrement, mais également avec un réseau de maraîchers et un intermédiaire qui s’appelle la plateforme Paysanne, qui est le lien logistique entre les maraîchers qui sont dans la ceinture autour de Marseille à moins de 100 kilomètres, et les restaurateurs, les pizzerias.
En tout cas, pour les fruits et les légumes, c’est vraiment ça, avec un petit peu de cueillette sauvage autour du restaurant parce qu’on a cette compétence et cette appétence de rajouter un peu du délicieux sauvage qui nous entoure.
Et puis après, on a des poissons de méditerranée et parfois un peu de viande, mais ça qu’on en met peu, parce qu’avoir de la qualité qu’on souhaite et la manière de délover tout ça, à des prix qui sont encore contenus par rapport à ce qu’on peut proposer dans la ganguette, c’est pas évident.
On a plutôt mis en avant le végétal et avec quelques touches de protéines animales, si les gens le savent.
Une nouvelle saison pour la guinguette, Le Présage va ouvrir au printemps pour cette saison 2023.
On va vous trouver où dans la cité phocéenne?
Alors ça, on est en cours d’installation pour déplacer la guinguette.
En fait, la guinguette a passé deux saisons sur le terrain à Château-Gombert, dans le 13e art. de Marseille.
Et là, on va lancer la construction du grand restaurant sur ce terrain-là.
On va déplacer la guinguette, on va peut-être commencer la saison au printemps sur ce terrain.
Et on va la déplacer dans le parc Borely, à Marseille.
On est en train de discuter avec la métropole et la mairie pour finaliser cette installation.
Super!
En plus, c’est vraiment un lieu familial, le parc Borely, pour ceux qui ne connaissent pas, on est proches de la mer, un lieu arboré, et donc, par définition, très ensoleillé.
Alors oui, très ensoleillé, et en même temps, pas évident de trouver un espace qui n’ait pas d’ombre, parce qu’il y a beaucoup d’arbres, heureusement.
Et donc, voilà, c’est trouver l’espace et l’adéquation avec les problématiques d’urbanisme, et concrètement, comment installer ça, cette adéquation-là, et qui a défini un petit peu le moment où c’était possible.
Et oui, on est très contents parce que c’est populaire, ça permet de montrer l’outil, on va faire une cuisine qui sera peut-être un petit peu plus simple que ce qu’on a réalisé jusqu’à présent, parce que je ne suis pas seul, heureusement, j’ai une super équipe autour de moi.
Et je pense notamment à Clément et Josepha qui ont tenu la guinguette l’année dernière parce que moi, je n’étais que en cuisine.
Et voilà, on a proposé ces très bons cuisiniers-cuisinières qui sont passés par de très belles maisons, certaines étoilées.
Donc parfois, on a envie de mettre plein de choses dans l’assiette, normalement.
Vous venez de l’évoquer à demi-mot.
Un autre projet vous mobilise énormément.
Donc sur ce terrain sur lequel vous êtes, sur lequel est posée la guinguette, va naître un restaurant.
Expliquez-nous un peu les contours de ce projet.
Les énergies renouvelables auront un rôle central là aussi et le soleil.
Oui, évidemment.
En fait, ce projet de restaurant, c’est la vision que l’on porte dès le début de l’aventure du Présage.
La version guinguette est en fait une étape qui a été nécessaire dans le développement de notre projet pour attirer l’attention des médias, des investisseurs, des institutions et montrer que finalement, ce qu’on racontait au tout début n’était pas si fou que ça et que ça pouvait marcher.
Donc la vision, c’est vraiment un restaurant avec évidemment de la cuisine solaire.
Ça, c’est le cœur de notre aventure.
Mais voilà, dans un bâtiment bioclimatique, donc ça veut dire qu’il est bien pensé, il va être en partie en matériaux biosourcés, du bois notamment.
On souhaite également avoir tout un jardin, un écosystème autour.
En fait, on va essayer de penser un petit peu un restaurant comme un écosystème où à la fois, on va avoir un petit peu de production végétale dans le jardin qui va alimenter le restaurant avec des énergies renouvelables.
Alors évidemment, on aura nos fourneaux solaires, on aura également un petit peu de photovoltaïques.
Et voilà, ça restera un petit peu anecdotique.
On aura également de l’eau chaude solaire pour les besoins de l’eau chaude du restaurant.
Et donc voilà, on va transformer ça grâce à nos outils.
Et puis, il y a forcément des biodéchets à la fois de la cuisine ou peut-être des restes que les clients n’auraient pas mangés.
Donc ça, dans un second temps, on souhaite, on n’a pas encore l’autopédation, mais on y travaille fortement à avoir une petite unité de méthanisation, c’est-à-dire de transformer les déchets en biogaz et de pouvoir utiliser ce biogaz justement les jours où il n’y a pas assez de soleil.
Parce que des fois, malgré l’ensoleillement à Marseille, il y a quelques jours où la cuisine solaire, à propos de parler, ne fonctionne pas.
Et donc une fois, on n’a point.
Idéalement, on serait très utilisés du biogaz, on l’a fait dans le passé.
Mais aujourd’hui, on utilise de l’électricité assez classique sur une plaque électrique.
Les consommateurs sont quand même de plus en plus attentifs à l’impact de leur choix sur l’environnement, la restauration.
Vous êtes un exemple, j’allais dire, Simon répond à ces demandes.
Mais comment réagissent vos collègues de la profession, à votre projet?
Est-ce qu’ils vous ont pris un peu pour un avant-gardiste ou un peu pour un fou de vous lancer dans cette aventure?
Forcément pour un fou.
Ça reste fou cette aventure.
Les premières fois où on en a parlé, pour regarder bizarrement, mais ça fonctionne.
On a réussi à tenir deux saisons, on a fait quasiment 10 000 couverts, on s’est payé.
Du coup, on devient de plus en plus crédible.
Et aujourd’hui, j’ai des gens dans la profession qui sont venus nous voir, des chefs, notamment la chef étoilée, qui vont nous voir.
Après le Covid, on est venu voir.
J’ai vu ça, ça me paraît pertinent.
On a commencé à discuter.
Il y aura peut-être quelque chose, il n’y aura peut-être pas, mais en tout cas, je trouvais intéressant cette démarche de pousser un petit peu ce côté local.
Et ça va dans ma profession, alors.
Certes, on a aussi des cuisiniers, cuisinières qui débarquent, qui ont entendu parler de nous, qui veulent tester, qui veulent travailler avec nous.
Mais ce n’est pas seulement les cuisiniers qui s’intéressent à ça, mais également des équipementiers.
Et je pense notamment à un fabricant de fourneaux avec lequel on travaille, qui a vu ça, qui nous a dit, c’est un petit fabricant, mais c’est le meilleur en fait en France.
Il fait des fourneaux sur mesure pour tous les meilleurs restaurants du monde.
Et donc voilà, en ce moment, on travaille avec lui pour que le prochain fourneau, ce soit une co-construction entre lui et nous.
La cuisson solaire, ça marche.
Pierre-André Aubert, merci d’être passé dans l’émission.
Plus d’infos sur le site du Présage pour guetter l’évolution du projet et les jours d’ouverture de la guinguette à Marseille.
Je mets en description de cet épisode le lien où vous suivez aussi sur les réseaux sociaux.
Oui, évidemment, les réseaux sociaux principaux, Le Présage, le restaurant solaire, sans difficulté.
Pierre-André Aubert, merci.
Merci Simon.
Voilà, c’est la fin de cet épisode.
Si vous l’avez aimé, notez-le, partagez-le et parlez-en autour de vous.
Vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site internet, csoluble.media.
A bientôt.
Écoutez l’épisode complet. (Seul le prononcé fait foi)
TIMECODES
00:00
00:37 Un fourneau solaire, c’est quoi au juste ?
01:31 Pourquoi se lancer dans la cuisine solaire ?
03:05 Utiliser la chaleur solaire pour cuisiner : est-ce que cela change le goût des plats ? Peut-on tout faire avec le fourneau solaire ?
04:34 Le principe de la loupe pour produire de la chaleur et le développement d’une technique sur-mesure
05:23 L’impact économique de la cuisson-solaire
06:32 Locavorisme : cuisiner avec des produits locaux issus de la région marseillaise
08:08 Saison 2023 : un nouveau lieu à Marseille pour la guinguette-solaire, le présage ?
10:15 Un projet de restaurant construit en “dur” sur le site actuel du technopole de Château-Gombert à Marseille (13013), un restaurant pensé comme un “écosystème”.
12:46 Dans la profession au début “on me prenait pour un fou, mais on a démontré que ça marchait !”
14:16 Merci à Pierre-André Aubert !
Fin !
Propos recueillis par Simon Icard.
POUR ALLER PLUS LOIN :
>> Ecouter aussi : A Marseille, la dépollution citoyenne des calanques