[TRANSCRIPTION] C’est quoi cet hydrogène naturel qui pourrait jouer un rôle intéressant dans la transition énergétique ?
Présenté comme le Graal énergétique par ses plus farouches promoteurs, l’hydrogène naturel va-t-il bousculer notre transition énergétique pour faire fonctionner un monde neutre en carbone ?
L’hydrogène naturel, également connu sous le nom d’hydrogène blanc, commence à être considéré comme une source d’énergie d’avenir dans le cadre de la transition énergétique.
Ce gaz, présent naturellement dans certaines régions du globe, pourrait jouer un rôle intéressant dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la diversification de notre mix énergétique. Pour Soluble(s), Mikaa Blugeon-Mered détaille les atouts de cette énergie potentiellement disponible par milliards de tonnes dans les sous-sols de la planète, selon de derniers rapports très médiatisés.
Mais encore faut-il le trouver, le capter et le commercialer. Au-delà des éventuels effets d’annonce, plongée dans l’hydrogène naturel avec ce spécialiste de géopolitique et géoéconomie, enseignant à Sciences Po, HEC Paris et à l’Université Mohammed VI Polytechnique au Maroc.
Transcription (automatisée)
Article source : C’est quoi cet hydrogène naturel qui pourrait jouer un rôle intéressant dans la transition énergétique ?
Bienvenue dans un nouvel épisode de Soluble(s).
Aujourd’hui, je souhaite parler d’une solution qui pourrait nous aider à atteindre nos objectifs climatiques et même, selon certains, nous donner plus d’énergie qu’il nous faudrait.
Mais on va voir que nous ne sommes qu’au début de cette hypothèse.
Bonjour, Mikaa Blugeon-Mered.
Tu es un analyste, conférencier et un enseignant spécialisé dans la géopolitique et la géo-économie du changement climatique.
C’est dans ce cadre que tu travailles plus spécifiquement sur le sujet de l’hydrogène.
Tu enseignes à Sciences Po, à HEC Paris, mais aussi au Maroc, à l’Université Mohammed VI Polytechnique.
On va donc parler d’hydrogène et notamment de l’hydrogène que l’on commence à trouver à l’état naturel et du rôle qu’il pourrait jouer dans notre transition énergétique.
Mais d’abord, tu le sais, dans ce podcast, on s’intéresse toujours au parcours de l’invité et pour préparer notre conversation, je lisais une interview que tu as donné au Quotidien Ouest France dans laquelle on comprend que tu as décidé il y a quelques années d’orienter tes travaux vers les solutions à la crise climatique.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton parcours et pourquoi cette orientation vers les solutions?
Au départ, je suis spécialiste plutôt des sujets de géopolitique et de marché, des régions polaires, l’Arctique et l’Antarctique.
Et en fait, je m’étais intéressé à ce sujet pour une raison assez simple, c’est que ce sont tout simplement les premières victimes du réchauffement climatique et au-delà de ça, ce sont évidemment des terres et des mers qui, de fait, par les enjeux de fonte et par les transformations climatiques qu’ils sont en train de subir, ont des impacts qui sont absolument planétaires, absolument partout.
Donc, de fait, je pensais au départ que la question des pôles était le point de départ et le sujet central.
Et puis, je me suis aperçu au fur et à mesure, au bout d’une dizaine d’années, que fondamentalement, d’une part, le message était bien passé dans les années 2010 sur l’impact du changement climatique sur les pôles.
Ça, c’est le premier élément.
Je pense que beaucoup et on aime beaucoup avoir fait des efforts pour ça et d’avoir passé les messages.
Les gens ont bien compris en France, ailleurs, en Europe, etc.
que les pôles étaient en danger.
Maintenant, le sujet, c’est qu’une fois qu’on a dit ça, on n’a fait que la moitié du chemin.
Et en réalité, ce que j’ai observé, notamment en travaillant assez proche des entreprises et des investisseurs sur cette période-là, c’est que tout simplement, si on voulait avoir un vrai impact, il fallait leur donner des solutions.
En tout cas, il fallait les aider à travailler à des solutions et des solutions qui soient techniquement sérieuses et d’autre part, qui soient finançables.
Donc le sujet, pour moi, à partir de 2021-2022, j’avais découvert ou redécouvert les sujets hydrogène en Antarctique et pour la décarbonation des stations antarctiques.
Au départ, c’était ça.
Et en fait, tout simplement, je me suis dit à ce moment-là, 2021-2022, qu’en fait, pour avoir un vrai impact, il fallait .. sur les solutions et de faire les solutions dans l’hydrogène.
En règle générale, on en a beaucoup, que cet hydrogène soit manufacturé ou qu’il soit naturel.
Alors, on va explorer tout ça dans le détail.
On vient donc à ce thème de l’hydrogène.
Mais avant de le détailler, cet épisode va se consacrer beaucoup à l’hydrogène naturel, que l’on appelle aussi l’hydrogène blanc.
Mais avant d’explorer ce potentiel énergétique, de quoi parle-t-on quand on parle d’hydrogène tout court?
Je voudrais faire un petit point avec toi sur cette molécule.
Alors, elle est connue, elle est déjà utilisée comme vecteur d’énergie.
Le sujet actuel de l’hydrogène, c’est qu’en quelque sorte, en une phrase, pour produire de l’hydrogène, il faut beaucoup d’énergie.
C’est pour ça le sujet.
C’est pour ça qu’il y a toute une palette de couleurs pour le désigner.
Est-ce que tu peux nous expliquer un peu pourquoi toute cette palette?
Parce qu’on parle d’hydrogène blanc, d’hydrogène vert, mais il y a plein d’autres couleurs.
Alors bien sûr, j’ai l’habitude de dire qu’il ne faut surtout pas utiliser les couleurs.
C’est valable pour l’hydrogène naturel également.
Pour une raison simple, c’est qu’au départ, quand cette question des couleurs a commencé à émerger dans les années 2014-2015, ça répondait à un besoin de sensibilisation du public sur ce que l’hydrogène pouvait être.
Et donc à l’époque, il y avait l’hydrogène qui était issu d’énergie fossile, qui représente aujourd’hui toujours plus de 99% de la production mondiale d’hydrogène.
Donc de fait, à l’époque, les gens appelaient ça hydrogène gris, hydrogène noir, hydrogène brun, en fonction de la quantité de carbone qu’il pouvait y avoir dans les molécules d’hydrocarbure qui étaient utilisées.
Donc ça, c’était les premières couleurs de base.
Puis on a commencé à beaucoup parler d’hydrogène vert pour vraiment faire cette distinction entre l’hydrogène qui était manufacturée à partir d’énergie fossile et dont il fallait se débarrasser.
Et de l’autre côté, cet hydrogène vert qui pourrait être de l’hydrogène fait à partir d’énergie renouvelable et ou à partir de biomasse.
Et puis ensuite, il y a des industriels qui ont commencé à inventer de nouvelles couleurs.
La première était l’hydrogène dit bleu qui était tout simplement de l’hydrogène fait à partir d’énergie fossile, comme avant, comme maintenant, mais avec une séquestration de carbone.
C’est à dire, on va essayer de capter le carbone au moment où on va transformer l’hydrocarbure en molécule de 10 hydrogènes, c’est à dire le H2, qui est ce qu’on cherche.
Donc, de fait, cette capture de carbone, certains l’ont appelé bleu et ils l’ont appelé bleu parce que c’était à l’époque les couleurs corporate des entreprises qui portaient cette solution.
Et puis ensuite, on a eu toute espèce de couleurs au fur et à mesure, le jaune, l’orange, le rose, le violet.
Je ne me sens pas assez des meilleurs.
Je ne vais pas tout détailler parce que vraiment ce qui compte, ce n’est pas du tout le mode de production de cet hydrogène.
Ce qui va compter, c’est l’intensité carbone de cet hydrogène quand il est produit.
Et enfin, pour ce qui concerne l’hydrogène naturel dont on va parler ensemble, certains l’appellent hydrogène blanc.
Sauf qu’il y a certaines zones de la planète où il y a un grand potentiel d’hydrogène naturel.
Et de fait, si on l’appelle hydrogène blanc, dites-vous que si vous allez en Afrique, si vous allez dans certaines parties qui sont des zones qui sont aujourd’hui détenues par des Premières Nations américaines, de fait, hydrogène blanc, ça passe mal.
Et on peut le comprendre.
Le deuxième sujet, c’est qu’il y a là aussi du marketing qui est intervenu avec certains qui ont commencé à parler des hydrogènes dorés, notamment en Australie ou aux États-Unis pour justement, encore une fois, montrer que cet hydrogène naturel pourrait être le Graal, entre guillemets, de la transition énergétique.
Donc pour éviter le marketing, les confusions, etc.
surtout qu’on ne parle pas des mêmes couleurs pour dire la même chose d’un pays à l’autre, d’un média à l’autre.
Bref, parlons juste des technologies et sensibilisons les gens sur quels sont les différentes technologies et leur impact carbone.
Alors du coup, nous ne parlons pas d’hydrogène blanc, mais d’hydrogène naturel.
Il a fait irruption, une irruption assez récente, mais fracassante dans l’actualité.
Tout du moins pour une partie du grand public.
On en parle de plus en plus.
Et notamment, sous l’effet d’annonce, parfois d’effet d’annonce, peut-être, tu nous diras la différence qu’il y aurait entre les deux.
Des annonces se multiplient.
C’est aussi un rapport préliminaire de l’Institut d’étude géologique qui a attiré mon attention, l’Institut des États-Unis, qui a révélé de façon spectaculaire son estimation des réserves mondiales en hydrogène naturelle.
Son évaluation porte sur un volume estimé à 5 000 milliards de tonnes.
Alors il faut dire que pour le commun des mortels, on ne sait pas trop ce que ça représente, mais ça a été simplifié et dit avec cette phrase très accrocheuse que cela permettrait de couvrir les besoins de l’humanité en énergie pendant des siècles.
Alors de quoi parle-t-on avec ces gisements spectaculaires, où on est-on et pourquoi dit-on que cet hydrogène naturel serait l’énergie que personne n’attendait?
Alors, je vais essayer de l’expliquer simplement.
En fait, il y a plusieurs dynamiques qui sont en train de se chevaucher et qui du coup créent une nouvelle mode autour de l’hydrogène naturelle, entre les nouvelles modes dans les milieux médiatiques d’un côté et dans les milieux financiers de l’autre.
En fait, le premier sujet, c’est déjà où on en est avec l’hydrogène, on va dire, normal, c’est-à-dire l’hydrogène manufacturé, là pour le coup, celui qu’on voulait développer dans les années 2000, 2010, etc.
Ce qu’on observe aujourd’hui, c’est que ce secteur-là de l’hydrogène, donc manufacturé, c’est-à-dire qu’il n’est pas une source primaire d’énergie, mais qui est un vecteur énergétique, c’est-à-dire qu’il faut une énergie primaire pour produire cet hydrogène-là.
Et bien, de fait, il y a eu des hypes, il y a eu des modes dans les années 50, dans les années 70, dans les années 2000.
À chaque fois, ça n’a pas marché, notamment pour des raisons soit politiques, soit pour des raisons techniques.
Et aujourd’hui, dans les années, depuis la fin des années 2010, on est dans une situation où aujourd’hui, enfin, entre guillemets, on a des technologies qui sont suffisamment crédibles et qui pourraient être industrialisables pour pouvoir produire une économie de l’hydrogène qui permet de répondre à une partie, et je dis bien là-dessus, j’insiste, une partie des besoins en décarbonation de la planète.
Et donc, ce qui est en train de se passer, c’est que cette hydrogène-là, manufacturée à partir de verre avec séquestration de carbone, ce que vous voulez.
Bref, cette hydrogène-là, on est en train aujourd’hui d’entrer dans une phase du marché qui est une phase de consolidation, c’est-à-dire que les premiers projets promis dans les années 2010 ou après la crise Covid sont en train d’être matérialisés, des usines de fabrication d’électrolyseurs ou des premiers projets de production à très grande échelle, etc.
Mais il y a aussi beaucoup de perdants.
Il y a aussi beaucoup de perdants qui ne sont pas au rendez-vous de leurs promesses, qui n’ont pas les financements, qui sont dépendants de l’augmentation du coût du capital ou de l’inflation, qui ne sont pas des facteurs liés à l’hydrogène, mais qui sont complètement exogènes du coût à ce secteur de l’hydrogène.
Bref, donc il y a, si vous voulez, un moment où on est en train de remettre en cause, pour certains en tout cas, le potentiel de l’hydrogène manufacturé à partir d’énergie renouvelable.
C’est une erreur parce que fondamentalement, aujourd’hui, les technologies et les premiers projets sont là et sortent bien de terre, mais pas à la hauteur de ce qu’on attendait.
Donc, dans ce contexte-là, les médias d’un côté, des financiers, des influenceurs, etc.
se sont rués sur ce sujet de l’hydrogène naturel quand ils ont compris le véritable potentiel que ça aurait, que ce soit d’un point de vue de l’intensité carbone, puisque l’hydrogène naturel est un hydrogène donc pas manufacturé, un hydrogène qu’il faut aller chercher dans le sous-sol ou qu’il faut capter quand l’hydrogène arrive jusqu’à la surface, voire même est dégagé vers l’atmosphère.
Ça, c’est un premier élément.
Donc, vous allez économiser beaucoup d’intensité carbone pour pouvoir avoir cette source énergétique.
Cette fois-ci, on ne parle pas d’un vecteur, mais c’est bien une source primaire par l’énergie.
Et le deuxième sujet, c’est la question du coût, parce qu’effectivement, prendre une ressource qui est naturelle, la canaliser, la condenser et l’amener jusqu’au marché, ça coûte moins cher tout simplement que de devoir mettre des panneaux solaires, des éoliennes, bref, manufacturer une énergie, ou ensuite utiliser cette énergie manufacturée pour manufacturer de l’hydrogène dans un deuxième temps.
Donc, c’est ces deux éléments-là qui intéressent tout le monde en ce moment.
Alors, on va tirer un petit peu les fils ensemble de ce que tu dis.
Alors, je vais évoquer dans l’introduction face au réchauffement climatique en cours, l’enjeu est donc de limiter, de contenir sous la barre de plus de 1, 5 à plus de de 2 degrés la température moyenne de la planète d’ici à 2100.
C’est l’objectif que les États se sont donnés.
Et pour cela, on le sait, il faut sortir des énergies fossiles, car en les brûlant, elles émettent des gaz à effet de serre.
Un effet de serre qui est donc le principal responsable du réchauffement climatique.
C’est là, dans ce contexte, mais je tenais à le rappeler que l’hydrogène est cité souvent comme une des briques qui permet donc de faire cette transition énergétique.
Donc, sans pétrole, l’hydrogène a l’avantage de ne pas émettre de CO2 lors de son utilisation.
Quelle place a-t-il réellement dans la transition énergétique telle qu’elle se construit et telle qu’elle accélère actuellement?
En fait, la littérature scientifique, elle est assez claire.
Aujourd’hui, elle fait assez consensus à l’échelle mondiale.
C’est-à-dire qu’on ne pourra pas arriver à la neutralité carbone totale, complète, sans avoir une partie de l’économie et une partie de la ressource énergétique qui provient d’hydrogène décarboné.
Une fois qu’on a dit ça, la question c’est combien d’hydrogène faut-il?
Et donc là, évidemment, les trajectoires vont différer en fonction des intérêts, en fonction des hypothèses qui sont prises, etc.
Mais la littérature scientifique disponible aujourd’hui évoque entre 5 et jusqu’à 25 % de pénétration de l’hydrogène décarboné dans un mix énergétique mondial pour pouvoir arriver à cette neutralité carbone mondiale.
Donc 5 à 25 % ça représente des intérêts financiers qui sont colossaux et qui attirent évidemment investisseurs, industriels, États.
Ça, c’est la première chose.
Et le deuxième sujet, c’est que de fait, oui, l’investissement de départ est lui-même colossal parce que l’hydrogène va être une énergie sur le plan.
Surtout quand c’est un hydrogène vecteur d’énergie et pas source d’énergie qui va être cher.
Donc aujourd’hui, le sujet qu’on a sur l’hydrogène, il est le suivant.
C’est qu’il y a des États à travers la planète.
Il y a aujourd’hui 83 États en date de fin février 2024 qui ont des stratégies nationales hydrogènes, d’une manière ou d’une autre.
Et ces États-là, il y a ceux qui ont fait le choix de bien canaliser cet hydrogène, cette énergie chère vers les secteurs qui ne pourraient pas être décarbonés sans hydrogène.
Et de l’autre côté, il y a d’autres États qui sont en train de faire du saupoudrage et qui sont en train de mettre de l’hydrogène un peu à toutes les sauces.
Et là, pour le coup, on a à la fois une déperdition d’argent, d’investissement pour la transition.
Et de l’autre côté, on a aussi une déperdition de ressources.
Parce que tout simplement, faire du saupoudrage, ça n’a aucune efficacité.
En tout cas, ça a une efficacité moindre, bien moindre, que de faire de la canalisation des investissements vers des solutions qui ne peuvent pas être décarbonables autrement qu’avec l’hydrogène.
Donc la situation aujourd’hui, c’est qu’on est très loin dans l’hydrogène des trajectoires nécessaires pour arriver à la neutralité carbone.
C’est-à-dire qu’aujourd’hui, l’Agence internationale de l’énergie explique qu’il faudrait arriver à un niveau de production d’hydrogène décarboné de l’ordre d’environ 52 millions de tonnes d’hydrogène par an pour l’hydrogène fait à partir d’énergie renouvelable.
Et il faudrait aux alentours de 18 millions de tonnes d’hydrogène par an d’hydrogène fait à partir d’énergie fossile avec séquestration de carbone.
Et vous combinez les deux, ça vous donne le besoin de manufacture d’hydrogène, donc non naturel, qu’il faudrait livrer à l’échelle mondiale en 2030, c’est-à-dire dans moins de six ans maintenant, pour pouvoir être sur les trajectoires de neutralité carbone nécessaires à atteindre les objectifs de l’accord de Paris.
Et aujourd’hui, on y est très, très loin puisque si on prend tous les projets annoncés dans le monde, même ceux qui sont vraiment juste annoncés, qui n’ont même pas encore d’études de faisabilité, juste l’annonce, on a aujourd’hui, à fin 2023, 10 millions de tonnes en 2030 d’hydrogène fait à partir de fossiles avec capture de carbone, et 28 millions de tonnes d’hydrogène fait à partir d’énergie renouvelable.
Donc on est très loin du compte.
Et c’est aussi pour ça donc qu’il y a un intérêt massif sur cette question d’hydrogène naturel, parce que pour le coup, peut-être que ce serait plus rapide, plus simple, je dis bien peut-être, c’est encore des hypothèses bien sûr, de pouvoir exploiter cet hydrogène naturel pour pouvoir atteindre plus rapidement ces objectifs de production d’hydrogène chaque année pour être dans les trajectoires compatibles avec l’Accord de Paris.
Oui, parce qu’on comprend que l’accès à de l’hydrogène à l’état naturel pourrait donc faire grimper l’utilisation de l’hydrogène de façon assez mécanique, mais aussi pour des raisons tout à fait objectives.
Du coup, est-ce que c’est moins cher quelque part d’extraire de l’hydrogène que l’on trouve à l’état naturel dans des gisements que d’en produire même avec des énergies renouvelables?
En théorie, oui.
Et je dis bien ici en théorie parce que fondamentalement, on va se retrouver dans un cas à peu près similaire au cas du pétrole, au cas du gaz naturel, donc le méthane, ou au cas du charbon.
C’est-à-dire que d’un gisement à l’autre, ou plutôt d’un puits ou d’un potentiel à l’autre, de par le monde, évidemment, on ne pourra pas faire une généralité.
Maintenant, pour que tout le monde puisse bien comprendre, je vais, malgré tout, faire une petite généralité, c’est-à-dire expliquer pourquoi cet hydrogène naturelle devrait normalement être moins chère en moyenne que l’hydrogène manufacturé, qui soit vert ou bleu, ou ce que vous voulez comme couleur.
C’est-à-dire que fondamentalement, la différence entre les deux, c’est que d’un côté, vous avez une énergie qui est produite par la planète de manière naturelle, et qu’il faudrait simplement, entre guillemets, capter.
De l’autre côté, vous allez avoir un vecteur énergétique, qu’il va falloir produire à partir d’une énergie qu’il va falloir elle-même produire.
C’est-à-dire que dans le cas de l’hydrogène manufacturé, il va falloir qu’il soit fait à partir de renouvelables ou pas.
Il va falloir, certes, investir pour pouvoir produire cet hydrogène.
Et il va falloir également compter dans les investissements, tous les investissements nécessaires en amont avant pour produire les énergies dont on va avoir besoin pour faire cet hydrogène.
Donc, je pense qu’ici, tout le monde peut comprendre assez facilement que d’un côté, vous avez une énergie qui vaut zéro parce qu’elle est produite par la planète, comme le pétrole, comme le gaz, etc.
Et il y a une valeur une fois que vous arrivez à l’extrait de ce que la nature vous offre.
Et de l’autre côté, vous avez une double manufacture de production.
Donc, de fait, des coûts d’infrastructure, des coûts d’échelle, des coûts manufacturiers qui sont en théorie, dans la plupart des cas, devraient être plus élevés.
Donc, pour vous donner un ordre de coût pour comprendre la différence, aujourd’hui, l’objectif pour l’hydrogène à partir d’énergie renouvelable, c’est d’être à peu près au même niveau de prix que ce que peut-être l’hydrogène fait à partir de fossiles avec capture de carbone.
À l’horizon 2040-2045, c’est-à-dire aux alentours de 2 dollars ou 1 dollar 50 pour les plus optimistes.
Certains parlent même de 1 dollar, mais ça va être difficile d’y arriver, le kilo d’hydrogène.
Et de l’autre côté, pour ce qui est l’hydrogène naturel, on a déjà un certain nombre d’estimations pour certaines possibilités d’exploitation un peu partout dans le monde qui nous parlent d’un coût de production de l’ordre de 60 centimes, 80 centimes, 1 euro ou même 1 euro 20 ou 1 dollar 50.
Bref, c’est-à-dire des coûts de production qui seraient de fait compétitifs, non seulement avec l’hydrogène issu d’énergie renouvelable, avec l’hydrogène issue de fossiles avec capture de carbone, mais même en fait avec l’hydrogène issu de fossiles tel qu’il est fait aujourd’hui tout court.
Donc c’est ça en fait qui génère un intérêt à la fois des investisseurs, des régulateurs, des politiques.
Et puis, cette hydrogène-là, en fait ce que les études sont en train de montrer à mesure de la publication, des publications académiques, c’est qu’il y en a potentiellement dans de très nombreuses régions du monde.
Et ce qu’il va falloir maintenant évaluer, c’est quelles sont ces ressources qui sont effectivement commercialisables et quelles sont celles qu’on va laisser dans le sous-sol.
Alors ça, c’est le travail de géologues, c’est le travail des entreprises qui investissent justement dans ces explorations.
La France, la France se positionne comment en tout cas en termes de ressources à espérer dans son sous-sol.
Alors je ne peux pas répondre à cette question parce que tout simplement, on n’a pas aujourd’hui une estimation nationale de ce qui pourrait y avoir en France comme ressource.
Il y a des annonces qui ont été faites et la hype qu’on est en train de vivre, la mode qu’on est en train de vivre, elle vient du fait qu’en mai 2023, il y a une équipe de chercheurs de l’Université de Lorraine, donc du CNRS, avec des acteurs privés associés, qui ont annoncé qu’ils auront prouvé un potentiel d’émanations d’hydrogène naturel en Lorraine, qui, si toutes les mesures sont lues, si toutes les projections se vérifient, etc.
pourrait permettre à la France de produire avec cette seule émanation-là, ce gisement, si vous voulez qu’on parle comme dans le secteur pétrolier ou gazier, et ce gisement-là pourrait potentiellement fournir quelque chose comme 42 millions de tonnes d’hydrogène à lui seul.
Donc si on prend juste ce chiffre-là et qu’on se dit ça c’est la référence potentielle pour la France pour un potentiel gisement en Lorraine, et bien de fait vous comprenez tout de suite pourquoi ça intéresse tous les partis, que ce soit des zones politiques de gauche, de droite, du centre, d’extrême droite, etc.
Ça intéresse parce que de fait c’est une ressource qu’on n’imaginait pas au peu, en tout cas pas dans l’espace public jusqu’à maintenant, et qui de fait est là.
Donc qui permettrait à la France de solutionner un sujet qui est sa dépendance aux importations d’énergie puisque aujourd’hui la France importe 98% de ses ressources en hydrocarbures.
Donc de fait ça c’est le premier sujet.
Ensuite la deuxième manière de vous répondre, et je vais faire court, c’est de dire qu’aujourd’hui en France, en fait, cette mode de l’hydrogène naturel, certes, elle a émergé au gré émerg…eur 2023, mais ça fait bien longtemps qu’en France on a des chercheurs, des universités, des laboratoires et même des entreprises de petites ou grandes tailles qui cherchent ou qui en tout cas ont quantifié des potentiels d’hydrogène naturel.
Et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui l’écosystème de recherche géologique, français, est parmi les trois plus importants au monde avec les Américains, avec les Russes.
Et si je pousse un petit peu, je pourrais ajouter également aussi nos amis australiens qui sont là aussi en train de miser beaucoup sur ce potentiel d’hydrogène naturel.
Donc la France est très bien positionnée sur le volet recherche et maintenant doit faire l’effort de développer le sujet industrialisation ou en tout cas comment on passe d’une ressource potentielle à une ressource qui est monétisable.
On se projette là cette fois dans l’avenir.
Si les explorations de gisements d’hydrogène naturel confirmer ce immense potentiel et leur disponibilité en grande quantité comme source d’énergie, peut-tu nous aider un peu à nous projeter?
Que faut-il comme investissement pour une utilisation à grande échelle?
Alors là, je pense à la question des infrastructures.
Est-ce qu’il faut repartir de zéro ou on peut utiliser, reconvertir des infrastructures, mais je pense notamment aux infrastructures gazières?
Alors là, quand on parle d’hydrogène naturel ou d’hydrogène manufacturé, en gros, les infrastructures seraient les mêmes, en tout cas les défis sont les mêmes.
Et de la même manière, la demande finale est la même, c’est-à-dire que fondamentalement, s’il n’y a pas de demande pour cet hydrogène, c’est-à-dire si les industriels ne jouent pas le jeu de l’hydrogène pour la transition énergétique, notamment dans les industries qui ne pourraient pas atteindre la neutralité carbone juste par une électrification directe.
Et bien, tout simplement, si les industriels ne jouent pas le jeu, si la demande n’est pas au rendez-vous, vous pouvez avoir tous les potentiels d’hydrogène naturel, avoir toute la capacité manufacturière de faire de l’hydrogène, manufacturer à partir d’énergie renouvelable que vous voulez.
Tout simplement, il n’y aura pas de marché.
Donc, ce qui était assez intéressant, c’était de voir comment la vague des stratégies nationales d’hydrogène sur la période 2017-2022 mettait beaucoup l’accent sur la production d’hydrogène, c’est-à-dire investir pour faciliter la production de cet hydrogène, pour créer un marché par la production, par l’offre.
Et ce qu’on est en train de voir maintenant dans les nouvelles vagues d’actualisation de stratégies d’hydrogène nationales, que ce soit en Allemagne, que ce soit au Japon, que ce soit en Corée du Sud, ou encore en France, en Australie, en Nouvelle-Zélande, c’est de voir comment depuis 2023, les régulateurs et ou les politiques ont compris qu’il y avait un déséquilibre entre l’offre et la demande qui était telle que tant qu’il n’y avait pas de demande, fondamentalement, cette offre, on pouvait la subventionner, on pouvait investir massivement, elle ne déboucherait sur pas grand chose.
Donc il nous manque aujourd’hui de la demande, ce sur quoi vont de plus en plus miser les nouvelles stratégies nationales d’hydrogène dans ce moment et cette question des infrastructures, que ce soit des nouvelles infrastructures, donc des hydrogénoducs, par exemple, comme on parle de gazoducs, évidemment, ou de oléoducs, bien sûr, donc des hydrogénoducs, pourquoi pas.
Et de l’autre côté, tout ce qui va être nécessaire aussi pour acheminer cette hydrogène jusqu’à l’utilisateur final, donc des stations de recharge d’hydrogène, plus ou moins grand public.
Ça va être des infrastructures portuaires, ça va être les bateaux pour faire de l’import, ça va être potentiellement des technologies pour transformer cet hydrogène, qu’il soit naturel ou qu’il soit manufacturé, en d’autres molécules ou en d’autres produits.
Ce ne finit par exemple de l’acier, du ciment, ou que sèchent d’autres encore, ou des fertilisants, pour pouvoir acheminer cet hydrogène des points de production optimales jusqu’aux points de consommation qui ne sont la plupart du temps pas les mêmes.
Et donc là, le sujet de l’hydrogène naturel intervient sur un point.
C’est que fondamentalement, on croit, ou en tout cas on sait, qu’il y a de l’hydrogène naturel dans des zones qui sont aujourd’hui les principales zones de potentielle demande de cet hydrogène.
Donc de fait, pour un territoire comme la France, pour les États-Unis ou pour d’autres pays encore, l’idée de l’hydrogène naturel consiste à dire voilà, si on peut l’exploiter à grande échelle, si vraiment ces ressources sont bien là et qu’elles sont bien exploitables, à ce moment-là, on peut à la fois se débarrasser de toutes les infrastructures nécessaires pour produire les énergies renouvelables, ensuite produire l’hydrogène.
Mais en plus de ça, on peut se débarrasser de beaucoup d’infrastructures d’import et donc développer des productions locales, développer de l’emploi local et donc développer in fine des logiques de souveraineté énergétique et de réindustrialisation.
C’est tout ça qui est en train de se jouer autour du potentiel de l’hydrogène naturel, en particulier en Europe, en Corée ou au Japon par exemple.
Et bien, merci beaucoup d’avoir défriché ce sujet dans Solubles.
Alors évidemment, c’est passionnant.
Merci de l’avoir vulgarisé aussi.
Je sais qu’on peut te suivre sur les réseaux sociaux notamment pour celles et ceux qui qui auraient envie de suivre au long cours le sujet de l’hydrogène.
Je crois qu’on te retrouve facilement sur LinkedIn.
Mikaa Blugeon-Mered, merci d’être passé dans cette émission.
Merci beaucoup d’avoir invité et puis j’insiste sur un point, c’est que cet hydrogène naturel, on ne va pas le retrouver qu’en France.
Il y a des pays particulièrement intéressants et qui vont très vite sur le sujet.
Pensez aux Philippines, pensez à Oman, pensez au Mali, pensez à la Colombie, pensez au Groenland, pensez au Maroc, au Brésil.
Bref, ce n’est pas qu’un sujet européenoccentré très clairement.
Si vous l’avez aimé, notez-le, partagez-le et parlez-en autour de vous.
Vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site internet csoluble.media
À bientôt !
Voici quelques repères en complément de l’épisode de Soluble(s)
L’hydrogène naturel est une forme d’hydrogène qui se trouve naturellement dans l’environnement, souvent piégé dans des réservoirs souterrains.
Contrairement à l’hydrogène qui est produit à partir de combustibles fossiles, ou à l’hydrogène “vert”, qui est produit par électrolyse de l’eau à l’aide d’énergies renouvelables, l’hydrogène naturel ne nécessite pas de processus de production énergivore. Il est donc potentiellement plus respectueux de l’environnement et du climat en n’émettant pas de CO2 lors de son utilisation.
Le rôle de l’hydrogène naturel dans la transition énergétique est multiple. Tout d’abord, il peut être utilisé comme source d’énergie propre. Lorsqu’il est brûlé, l’hydrogène ne produit que de l’eau, ce qui en fait une alternative intéressante aux combustibles fossiles. De plus, il peut être converti en électricité à l’aide de piles à combustible, offrant ainsi une solution de stockage d’énergie efficace et écologique.
En outre, l’hydrogène naturel pourrait contribuer à la décarbonation de l’industrie. De nombreux processus industriels nécessitent de l’hydrogène comme matière première. En remplaçant l’hydrogène produit à partir d’hydrocarbures ou même d’énergies renouvelables par de l’hydrogène naturel, ces industries pourraient réduire significativement leurs émissions de CO2.
Cependant, l’exploitation de l’hydrogène naturel n’en est qu’à ses éventuels débuts et ne pourra pas devenir une source d’“énergie miracle”.
« La France peut devenir un pays pionnier pour la production de cette énergie du futur », avait déclaré le président français Emmanuel Macron fin 2023 en promettant des « financements massifs » pour explorer son potentiel.
A travers le monde, des forages ont débuté en Australie ou aux États-Unis, mais un seul site localisé au Mali produit actuellement de l’hydrogène naturel.
Aux Philippines, à Oman, au Mali, en Colombie, au Maroc, au Brésil ou encore au Groenland, l’hydrogène naturel intéresse fortement.
En France, un permis d’exploration a été attribué en novembre 2023 dans les Pyrénées-Atlantiques au Sud-Ouest de la France sur une zone de près de 225 km carrés, d’autres demandes de permis sont en cours d’instruction.
L’Hexagone est « l’un des pays qui a le plus de réserves d’hydrogène naturel », selon le chef de l’État français, qui assurait « qu’on ne peut pas laisser dormir cette ressource ».
En 2022, les scientifiques experts internationaux sur le climat du GIEC indiquaient que l’hydrogène représentera au mieux 2,1 %, en 2050, et 5,1 %, en 2100, du bilan énergétique global.
Ecoutez cet épisode de Soluble(s) pour tout comprendre des enjeux actuels qui entourent l’hydrogène naturel.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Suivre Mikaa Blugeon-Mered sur Linkedin : https://www.linkedin.com/in/mikaabm/
- Lire cette brève sur le site : www.notre-environnement.gouv.fr
TIMECODES
00:00 Introduction
01:20 Le parcours de Mikaa Blugeon-Mered
03:59 Les types d’hydrogène exploités selon leur impact carbone
07:59 L’hydrogène naturel, mode ou intérêt légitime ?
12:12 L’hydrogène pour parvenir à la neutralité carbone
16:41 L’hydrogène naturel moins cher en moyenne que celui qui est manufacturé ?
20:16 L’hydrogène naturel et la France
23:30 Les infrastructures nécessaires
27:20 Merci à Mikaa Blugeon-Mered !
Fin
Propos recueillis par Simon Icard.
_
Ecouter aussi
AMEP, c’est quoi le don d’électricité renouvelable entre voisins ?
SolarStratos, l’avion électrique et solaire qui vise la stratosphère