[TRANSCRIPTION] Comment TF1 et LCI luttent contre les fake news
Informer sur la désinformation, dans le journal télévisé le plus regardé de France. Depuis 2019, le groupe TF1 a mis en place une équipe de journalistes dédiée à la vérification des faits qu’elle « passe au crible » face à la profusion de contenus, rumeurs, images et chiffres qui émergent sur les réseaux sociaux ou dans le débat public.
Pour Soluble(s), Samira El Gadir, cheffe du service « Les vérificateurs » de TF1 et de la chaîne d’information en continu LCI détaille le rôle que s’est donné le groupe TF1 dans la lutte contre la désinformation.
Transcription (automatisée)
Article source : Comment TF1 et LCI luttent contre les fake news
Bienvenue dans un nouvel épisode hors série de Soluble(s).
Vous le savez, ici on pense que les médias ont un rôle constructif à jouer.
Et aujourd’hui, je m’intéresse à la lutte contre la désinformation à laquelle participe la plus grande chaîne de télévision d’Europe.
– Bonjour Samira El Gadir.
– Bonjour
Tu es journaliste à TF1, les téléspectateurs du journal télévisé et ceux de la chaîne Info LCI te connaissent bien car ils te voient chaque semaine à l’écran avec ta chronique Info ou Intox.
Tu coordonnes les équipes des vérificateurs de la chaîne et des rédactions de LCI et du site Internet d’Information.
On peut parler de ce journalisme de vérification que tu pratiques, du fact checking face aux fausses nouvelles, de la vérification des faits face aux fake news.
Je te demanderai aussi quelques conseils que l’on peut utiliser au quotidien.
Car nous sommes toutes et tous exposés régulièrement à des images, des contenus qui peuvent semer le doute.
Mais d’abord, on a envie d’en savoir un peu plus sur ton parcours.
Toute petite, dès le collège, tu voulais devenir une journaliste.
Tu as grandi dans le nord de la France à Boulogne-sur-Mer.
J’y ai grandi et effectivement, la volonté de devenir journaliste, c’est exprimé assez tôt.
Au collège, on avait créé un petit journal dans le collège où j’étais.
Alors, c’est un petit journal aujourd’hui, voilà, on n’en parle.
Je dis que c’est un journal, mais en vrai, c’était une feuille où on mettait, par exemple, les résultats de l’équipe de foot de l’école, des choses comme ça.
Mais c’était l’idée, c’était un peu d’être au courant de nos actualités.
Et j’ai voulu être journaliste parce que, je ne sais pas, c’est un mix de plein de choses.
J’ai toujours été curieuse de tout.
Soucieuse aussi de raconter les choses.
Et moi, j’ai grandi dans un quartier, donc ça s’est venu un peu plus tard.
Mais la volonté aussi de raconter les choses comme elles se passent.
Je n’ai pas toujours eu ce que je voulais sur ce point-là.
En tout cas, j’ai vu pas mal encore aujourd’hui de reportages parfois qui étaient un peu décalés, décorrélés de la réalité que moi, je connaissais.
Loin de moi l’idée de faire des leçons de morale ou d’expliquer ce que c’est que le vrai journalisme, etc.
Mais en tout cas, j’avais envie de contribuer, si tu veux, à exposer les faits tout simplement tels qu’ils sont, sans en rajouter, sans non plus essayer d’édulcorer la réalité.
Mais juste dire les choses telles qu’elles sont avec peut-être un peu de nuances.
Raconter, exposer les faits.
Alors, les faits sont au cœur du métier que tu pratiques, le journalisme.
On est ici pour parler des fausses nouvelles, des fake news.
Est-ce qu’il y a une définition aux fake news, pour bien comprendre si c’est différent d’une théorie du complot ou du complotisme?
Il y a beaucoup de choses, en fait, dans les fake news.
Dans les fake news, il y a la volonté de désinformer, de manipuler les choses, les gens, pour servir une idéologie politique ou autre.
Donc là, il y a la volonté vraiment de tromper l’autre.
Il y a aussi dans les fake news, la mésinformation.
C’est-à-dire que des gens, on le voit notamment là dans le conflit israélo-palestinien, des gens qui vont relayer des fausses informations, mais qui croient à la base qu’elles sont vraies.
Et là, on voit, par exemple, le rôle de l’émotion, des croyances, etc.
Tout ce que ça peut peser là-dedans.
Et puis après, oui, effectivement, il y a le complotisme.
Là, le complotisme, c’est un peu plus élaboré, je dirais.
Donc là, c’est vraiment des théories qui sont soupçonneuses, qui vont créer une histoire, en fait, tout simplement.
Là, j’ai en tête, par exemple, sur le conflit en Israël.
L’une des théories les plus farfelues qu’on a vu passer, c’est qu’Israël a tout manigancé et se sont eux-mêmes auto-attaqués.
Donc, c’est ce qu’on appelle l’attaque sous faux drapeau, false flag, pour ensuite justifier les attaques sur Gaza.
Voilà, ça, c’est une théorie du complot.
La 5G, le vaccin qui est là pour nous tuer, enfin, voilà, tout ça, c’est des théories du complot.
Donc, c’est un peu plus élaboré.
Donc, si tu veux, dans la famille fake news, il y a pas mal de choses.
Alors, les fake news dont on va parler aujourd’hui sont le plus souvent corrélées à l’actualité.
Tu le disais, l’actualité du moment, des sujets dont tout le monde parle, quelque part.
Depuis 2019, TF1 a mis en place une équipe de journalistes dédiées à la vérification des faits, et donc à la lutte contre la désinformation.
Peux-tu nous dire pourquoi c’est important pour une télévision comme TF1 et ses journalistes de proposer cette offre à leurs audiences?
Parce que tu l’as dit tout à l’heure, on est très regardés, on est très attendus par notre public, par l’exigence de nos sujets, etc.
Enfin, ça fait en tout cas aujourd’hui qu’on est toujours très suivis parce que les gens en tout cas nous font confiance.
On en reparlera peut-être tout à l’heure, mais voilà, on doit être dignes de cette confiance.
Et il y a un contexte qu’on ne peut pas maîtriser.
Le contexte, c’est les réseaux sociaux.
C’est la profusion, je ne vais pas dire d’informations, mais de contenu aujourd’hui auquel on doit tous faire face.
Et c’est difficile de faire le tri dans tout ça.
Qui me parle?
Pourquoi on me parle?
Pourquoi est-ce qu’on m’envoie ce message, cette information-là, le rôle des algorithmes, etc.
Et nous, si tu veux, je pense, en tout cas c’est une…
Je le vois là, aujourd’hui, tous les jours, que c’est plutôt une bonne décision, que c’est notre rôle à nous en tant que grands médias de nous saisir de ce sujet-là, de la désinformation.
Parce qu’on est journaliste professionnel, c’est notre métier.
Moi, si tu me demandes demain de faire du pain ou de couper de la viande, je ne sais pas faire.
Je ne suis pas bouchère, je ne suis pas boulangère, mais je suis journaliste.
Et journaliste, je sais comment on construit l’information, comment on la publie tout simplement, croiser les sources, être exigeant, appeler les gens dont c’est le métier en fonction des sujets, etc.
Donc, voilà, tout ça, c’est comme ça qu’on fait de l’information.
N’importe qui ne peut pas aujourd’hui se dire, journaliste, c’est ça moi qui me pose problème, si tu veux, aujourd’hui dans le contexte, c’est que tu as une profusion de contenu et tout le monde se dit journaliste à partir du moment où il diffuse des choses sur les réseaux sociaux.
Être journaliste, c’est un métier, je ne fais pas de corporatisme, mais je dis juste qu’à un moment donné, il y a une exigence qu’on doit avoir nous vis-à-vis aussi du public qui nous fait confiance et qui nous lit, qui nous regarde, qui nous écoute, etc.
Donc, pourquoi TF1?
Juste là-dessus, je voulais juste terminer sur le fait que ce n’était pas aussi simple pour nous d’y aller.
On a eu beaucoup de débats en interne, ça on n’en parle pas forcément, mais c’est intéressant quand même parce que jusqu’ici, on était le journaliste des vraies infos.
Donc, se dire aujourd’hui, demain, on va saisir des fake news, on va les porter aux JT, qui est regardé par des millions de personnes.
Je me souviens, on a eu des débats avec des journalistes et notamment de l’ancienne génération qui ne voyaient pas forcément ce flot de contenu venir des réseaux sociaux et l’ampleur qu’ils ont aujourd’hui auprès des Français et qui me disaient, mais est-ce que c’est notre rôle?
Est-ce qu’on ne va pas donner aussi une tribune aux fake news dans les JT, etc.
Je ne pense pas parce qu’on se saisit de ce sujet dès le départ parce qu’il fait parler, parce qu’il intéresse les gens.
Et on va le confronter à une enquête journalistique avec des faits, avec des sources, etc.
Donc, je pense que c’est notre rôle et je vois avec le succès de ces formats qu’on n’avait pas tort de le faire.
Alors, on va poursuivre sur cette explication et cette transparence aussi.
Merci de le faire ici dans ce podcast.
À travers la description de l’organisation de ton équipe, on va donc tenter de mieux comprendre ce phénomène.
Vous avez en quelque sorte des radars.
Quel type de contenu a-t-il à dire?
À partir de l’attention des vérificateurs de LCI et de TF1, il y a des critères.
Qu’est-ce qui fait, comme tu l’as dit, que vous vous saisissez de tel ou tel sujet?
Alors, tous les matins, on échange.
Tu vois, avant de te parler ce matin, j’échangeais avec mon équipe.
Tous les matins, on échange sur ce qu’on voit passer.
Notre matière première, c’est évidemment les réseaux sociaux, parce qu’aujourd’hui, il se passe beaucoup de choses.
Mais il y a aussi les matinales politiques, par exemple.
Quand les personnalités politiques ce matin, il y avait Olivier Véran sur France Info, Gérald Darmanin sur France Inter.
Voilà, on écoute toutes les matinales politiques.
On va chercher la matière là où elle est.
À partir du moment où on estime qu’un chiffre mérite un contexte, un décryptage, quelque chose qu’on n’a pas bien compris, ou quelque chose à l’inverse qui est un peu trop conclusif.
La France, on est les champions du monde de ça.
On est les champions d’Europe de ça.
On se dit, tiens, est-ce qu’on est vraiment les champions d’Europe de ci ou ça?
Les critères que je donne à mon équipe, c’est un, il faut qu’on soit dans l’actualité évidemment, il ne faut pas qu’on soit décorrélé de ce qui se passe et de ce qui intéresse les gens.
Quand je dis actualité, ce n’est pas forcément de l’actualité du jour, le vote d’une loi aujourd’hui, etc.
Mais c’est au sens dans l’air du temps.
En tout cas, il faut que ce soit quelque chose qui intéresse les gens.
Ça, c’est le critère numéro un.
Critère numéro deux, c’est l’audience.
Par rapport à ce que je te disais tout à l’heure, on ne va pas nous donner une tribune à une fake news qui a été vue par dix personnes.
Par contre, quand ça commence à être très diffusé, que les gens le relayent au premier degré, qu’il y a beaucoup de gens qui y croient et qui le relayent, là, on va s’en saisir pour pouvoir ensuite non pas dire c’est vrai, c’est faux.
Moi, c’est pas mon rôle de te dire la vérité.
En revanche, mon rôle en tant que journaliste, c’est de confronter cette rumeur à une enquête journalistique étayée.
Et arrive-t-il qu’au terme de cette enquête journalistique, vous ne parveniez pas avec ton équipe à trouver justement l’effet?
Et est-ce qu’il vous arrive de dire on ne sait pas?
Oui, je l’ai dit au 20h de TF1, je ne sais pas.
Je n’ai pas la réponse.
Donc si je n’ai pas la réponse après, c’est pas moi je n’ai pas la réponse, donc personne ne peut l’avoir, non.
Moi, ce que je dis dans ces cas-là, c’est que je vais donner les étapes de mon enquête.
Ça, c’est un nouveau truc aussi avec le fact checking.
J’ouvre ma tambouille interne et ensuite je dis voilà, malgré une enquête fouillée, on n’a pas de chiffre sur ce sujet.
On a appelé tous les acteurs, on est allé chercher les dossiers, on a épluché les rapports, les machins, etc.
Ce chiffre n’existe pas.
Voilà ce qu’on peut dire.
Moi, je l’ai déjà dit au 20h de TF1.
Et après, il arrive aussi.
Alors ça, c’est plus dans un souci de clarté, c’est pas pour se censurer.
Mais c’est de se dire à un moment donné, on n’est pas conclusif et on va plus embrouiller les gens qu’autre chose.
On va partir sur une piste qui n’est pas forcément bonne.
Donc, on ne sait pas au départ, le matin on se lance dessus, on se dit, tiens ça, ça peut intéresser les gens, ça tourne beaucoup, etc.
On fouille, on cherche, etc.
Et puis finalement, avec tous nos outils, on en parlera peut-être.
Mais nous, on a une palette d’outils aujourd’hui pour vérifier.
Et on a tout essayé, mais on n’a pas de quoi accrocher.
On n’arrive pas à résoudre l’énigme.
Donc là, parfois, il arrive aussi qu’on annule les sujets, qu’on se dise, bon, ben là, j’ai pas la matière.
En tout cas, j’ai pas de quoi donner aux gens.
C’est un moment donné, si je reprends la métaphore du boulanger, si j’ai pas la farine ou la levure, je peux pas lui fournir ce qu’il attend de moi.
Donc, on laisse tomber.
Alors, parle-nous encore de cette tambouille, comme tu dis, des coulisses de la méthode que vous employez avec ton équipe.
Comment tu procèdes pour…
Tu prenais des exemples ce matin.
Tu entendais à la radio, par exemple, des déclarations politiques.
Prenons cet exemple, un chiffre qui est émis.
Comment tu procèdes pour vérifier une information pour tes chroniques, pour vos articles?
Alors ça, quand c’est une déclaration politique, en général, c’est plutôt un chiffre à vérifier.
Ou là, je pense au dernier sujet que j’ai fait pour le 20h de TF1 la semaine dernière, sur le périphérique parisien.
Annie Dalgaud qui rabaisse la vitesse du périphérique parisien, qui compte le rabaisser à 50 kmh.
Et elle, elle dit, on le fait pour réduire la pollution atmosphérique et le son.
Du coup, à partir de là, moi, je vais aller chercher toutes les études qui ont été faites.
On avait déjà réduit la vitesse du périphérique il y a 10 ans.
Est-ce qu’on a des études là-dessus?
Est-ce qu’on a des études d’impact tout simplement?
Que disent les chiffres, etc.
Et ça vire que sur le bruit, c’est assez documenté.
Sur la pollution atmosphérique, c’est un peu plus compliqué.
Donc, je vais appeler tous les acteurs qui ont travaillé là-dessus.
Je compare avec des exemples à l’étranger.
J’essaie de voir ce qui est comparable aussi, parce que le périphérique parisien, c’est un truc particulier.
Et puis, ensuite, voilà, c’est comme ça que je donne ensuite les informations aux gens, en disant, voilà qui j’ai eu, c’est ça pour le bruit, c’est documenté.
En revanche, pour la pollution atmosphérique, c’est pas si simple.
Et j’explique pourquoi c’est pas si simple.
Voilà, ça, c’est pour les chiffres.
Après, il y a d’autres sujets, si tu veux, et ça, c’est quand même l’essentiel de ce qu’on fait aussi, c’est vérifier une image.
L’essentiel de ce qu’on fait aujourd’hui, c’est-à-dire que de plus en plus, on est dans une société de l’image, notamment sur les réseaux sociaux, etc.
Donc, là, pour vérifier les images qui circulent, etc.
Chaque année, nous, on se réforme encore.
On continue à mettre à jour nos outils.
On a des outils pour aller vérifier la première diffusion d’une image, pour savoir qui l’a diffusée au départ, parce que la source, ça donne beaucoup d’informations.
Tu me disais tout à l’heure, donnez-nous des conseils.
Ça, c’est l’un des conseils que je vais vous donner.
La source, c’est la base d’une information qui me parle.
J’ai localisé une image, faire une bonne veille sur les réseaux sociaux.
Tout ça, on a une palette d’outils, nous situés avec mon équipe aujourd’hui, pour pouvoir vérifier, tout simplement, les contenus qui circulent, quoi.
Oui, parce que avec le mot contenu, et en effet, surtout pour les images, il est difficile de savoir leur provenance.
Souvent, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, des citoyens, des internautes, des organisations, des hommes et des femmes politiques, peuvent aussi se saisir d’une image pour dire quelque chose, pour réagir ou à leur tour, peut-être repartager l’information.
Mais si ce n’est pas une information crédible, c’est là où les choses dérapent quelque part.
Les réseaux sociaux jouent ce rôle de propagation.
Est-ce que c’est vraiment le canal principal de diffusion des fausses nouvelles?
C’est si tu veux, aujourd’hui, là où on avait que quelques médias qui étaient chargés de diffuser l’information, aujourd’hui, on a plein de réseaux sociaux et surtout, plein de personnes qui diffusent.
C’est une bonne chose en soi.
C’est comme l’intelligence artificielle.
On en parle aujourd’hui en ayant peur de l’intelligence artificielle en soi, des pas méchantes.
Les réseaux sociaux, en soi, ils partent d’un bon principe.
C’est-à-dire, l’idée, c’est quand même magnifique, c’est de se dire, on ouvre en fait la parole, tout le monde aujourd’hui peut l’apprendre, on peut échanger sur plein de sujets, etc.
Là où ça devient compliqué, c’est quand c’est utilisé par des personnes malveillantes ou qui n’ont pas forcément les clés sur tel ou tel sujet et qui vont diffuser parce qu’ils croient à telle ou telle information, etc.
Et encore une fois, avec la profusion aujourd’hui, ça vient tellement de partout que même nous, journalistes, on peut encore se faire avoir sur une information bien construite, une fausse information bien construite.
Donc le rôle des réseaux sociaux, il est primordial dans le sens où il donne une caisse de résonance énorme à tous ces sujets.
C’est-à-dire qu’une fausse information que j’aurais pu donner il y a 15 ans ou il y a 20 ans à toi, Simon, parce que t’es mon pote et je te dis, bon ben voilà, n’a rien, tu vas peut-être le répéter à ton entourage.
Il y a aussi de façon…
On a pu l’observer avec les conflits, les guerres de cette année en Ukraine, mais aussi avec le conflit au Proche-Orient.
Il y a aussi des manœuvres qui sont mises en œuvre dans le sens où des médias qui ont l’air d’être des vrais médias, mais qui sont des copies de marques connues quelque part.
Je vais prendre un exemple.
Je crois que c’est le journal Le Parisien qui a eu affaire à des imitations, des vrais faux sites.
Comment on fait pour distinguer un vrai et un faux site d’information?
Ça, c’est un cas d’école de propagande hyper structuré.
Le sujet dont tu me parles, c’est un nom, cette campagne de désinformation, ça s’appelle Doppelgänger.
Doppelgänger, c’est le double maléfique en allemand.
Et en fait, ils ont tout simplement, si tu veux, pour pouvoir donner de la crédibilité à leur contenu, copié les pages du Parisien, mais pas que le Parisien, les communiqués officiels du ministère des Affaires étrangères, etc.
Voilà, Le Point aussi.
Encore la semaine dernière, on a trouvé des faux articles du Point.
Donc ça, on a retrouvé d’ailleurs qui était derrière ces deux entreprises moscovites, donc russes, qui ont, si tu veux, monté toute cette campagne de désinformation, mais hyper structurée.
C’est-à-dire que là, on est vraiment sur le summum de la construction, de la propagande et des fake news.
L’idée, c’est encore une fois d’utiliser, si tu veux, la crédibilité des sites qu’on connaît.
Ils sont estampillés dans notre esprit, dans notre imaginaire collectif sérieux pour ensuite diffuser des fake news à l’intérieur.
Comment les repérer pour répondre à ta question?
Après, nous, on a l’œil, on regarde.
Et notamment, ce qu’ils ont fait là-dessus, c’est qu’ils ont racheté des noms de domaine.
Mais si tu regardes Le Parisien, c’est un site français, donc ça se termine par.fr.
En général, ces sites ne se terminent pas par.fr.
C’est.ru,.
machin, enfin voilà.
Donc déjà, on se dit, tiens, c’est bizarre.
Le parisien localisé en Russie, c’est un peu bizarre.
Et ensuite, si tu veux, il y a aussi dans, quand tu lis l’article, mais déjà, il y a le contexte aussi, tu te dis, c’est bizarre.
Tu vois, il y a des titres très racoleurs.
Macron a le sang des Palestiniens sur les mains.
Il y a un article comme ça qu’on a identifié.
Bon, là, on se dit impossible que le parisien fasse un titre aussi racoleur.
Et puis ensuite, quand tu lis le contenu vraiment de l’article, tu vois des fautes de syntaxe, etc.
Donc, on s’est rendu compte, si tu veux, en allant un petit peu plus loin, que c’était des robots qui écrivaient ces contenus pour la plupart.
Donc, c’est automatisé.
Du coup, à un moment donné, une machine ne peut pas faire ce que fait un journaliste, c’est-à-dire écrire des phrases qui ont du sens, etc.
Et voilà comment on les repère, nous, en tout cas, à notre niveau.
Donc, bien lire dans sa barre d’adresses, l’adresse, tout simplement, du journal, si on a un doute.
Tu peux peut-être aller dans Google et retaper le nom pour voir si on retrouve l’article avec.fr.
Le public peut aussi contacter l’équipe des vérificateurs de TF1 et d’LCI.
Ça se passe par email pour demander une vérification, je me dis de façon non scientifique que les emails que vous recevez peuvent constituer un thermomètre, peut-être, pour mesurer les thématiques qui questionnent votre public.
Est-ce qu’il y a des thèmes récurrents dans les questions posées?
Je ne sais pas s’il y a des thèmes récurrents dans les questions qu’on nous pose.
Par email, en général, c’est plutôt des questions qui vont être dans le quotidien aussi des gens.
Mais je vois aussi les questions qu’on a sur Twitter.
On va nous saisir sur une image un truc qui leur paraît douteux.
Il n’y a pas vraiment, en tout cas aujourd’hui, l’actualité aussi internationale est tellement forte que je ne vois pas de tendance précise.
Au moment du Covid, en revanche, on avait vraiment des questionnements et légitimement souvent sur le vaccin.
Est-ce que les études cliniques sont conclusives sur telle ou telle effet secondaire, etc.
Ça, je me souviens qu’on avait des questions assez précises aujourd’hui.
On voit, si tu veux, que l’actualité internationale, en tout cas, intéresse beaucoup les gens.
Donc toujours, évidemment, l’actualité, on sait à quelle porte taper.
Quand on vous contacte, c’est souvent sur des sujets chauds, des sujets du moment et des images, notamment.
Alors, je ne vais pas révéler un scoop, mais hélas, les médias et les journalistes souffrent d’un déficit de confiance.
Cette confiance des Français dans leurs médias est mesurée chaque année dans un baromètre qui est réalisé pour le journal La Croix par Kantar.
Je vous mettrai dans la description le détail.
Mais de chiffres, quand même, 57% des Français considèrent qu’il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité.
Pour autant, les personnes interrogées dans cette étude font confiance encore à 67% aux journaux télévisés, dont ceux de TF1, de France 2 par exemple, pour s’informer sur ce qui se passe dans l’actualité.
Alors c’est plus que la presse régionale, que les journaux et la radio, mais ça se tient quand même.
La télé reste le média le plus utilisé par les Français pour s’informer au moins une fois par jour.
Alors tu nous le disais un peu tout à l’heure.
On comprend là que TF1 a un rôle important à jouer dans la société avec ses journaux.
Les journaux d’information pour conserver aussi cette confiance avec le public, avec son public, mais aussi parce qu’on le sait tous, les informations sont importantes à la vie démocratique.
Cette question est quand même très ouverte, mais c’est vraiment un des objectifs de votre démarche en tant qu’entreprise, en tant que journaliste, d’ouvrir vos antennes à la vérification.
C’est de conserver la confiance du public.
On ne peut pas aujourd’hui en tant que journaliste faire comme si ça n’existait pas.
C’est-à-dire que, en tout cas, c’est mon point de vue personnel, et je pense qu’on est beaucoup à le partager.
Il faut faire preuve d’humilité, comme dans tous les métiers.
Et on ne peut pas fermer les yeux.
C’est-à-dire que si à un moment donné, tu as une majorité de gens qui disent on fait plus confiance aux médias, déjà, interrogeons-nous sur le pourquoi.
Bon, le pourquoi, on le connaît quand même un petit peu.
C’est effectivement…
Voilà, on voit aussi, encore une fois, cette profusion d’informations, le fait qu’aujourd’hui, les gens se sentent libres aussi de dire ce qu’ils pensent, etc.
Ils ont accès à d’autres informations via les réseaux sociaux.
Puis, il y a des dérapages aussi, parfois, dans les médias.
Je suis la première à le déplorer.
Donc, à partir du moment où on souhaite le constat, charge à nous de renouer la confiance avec notre public.
Et comme tu l’as dit toi-même, il y a quand même un chiffre qui montre que dès qu’il y a une grosse actu, nous on le voit au JT, TF1 Info, l’audience explose.
Donc, ça veut dire qu’à un moment donné, c’est pas pour se gargariser que je dis ça, c’est juste pour dire que la confiance, elle n’est pas totalement rompue quand on voit que, quand il y a un gros truc qui se passe, ils viennent nous voir nous pour savoir ce qui se passe, et avoir l’information, vérifier, etc.
Donc, on part du principe qu’a priori, les gens nous font confiance.
Après, il faut être digne de cette confiance et il faut évoluer avec son temps.
Donc, la démarche de désinformation, elle est là-dedans aussi.
C’est-à-dire que c’est une façon, si tu veux, encore une fois, je t’ai dit tout à l’heure, on a eu des débats en interne sur est-ce que c’est notre rôle à nous de traiter des fake news.
Aujourd’hui, j’en suis complètement convaincue parce qu’encore une fois, ça fait partie du contexte actuel de l’information.
Il y a des fake news partout et sur toutes les thématiques.
On manque pas de sujet aujourd’hui et on manque pas de matière.
Et après, il y a un truc qui change, si tu veux, dans notre façon de restituer l’information.
Moi, j’étais 10 ans reporter au service économie.
Je n’expliquais pas aux gens forcément où j’allais chercher mes chiffres, etc.
Je mettais une petite source en bas de mon infographie, si j’avais une infographie dans mon sujet.
Mais ça s’arrêtait là.
En gros, je n’allais pas embêter les gens avec ma tambouille interne, alors qu’aujourd’hui, je le fais.
Aujourd’hui, sur ma chronique d’une minute trente, je vais étape par étape pour expliquer aux gens, voilà sur tel sujet ce que j’ai trouvé comme chiffre, voilà quelle source je suis allée voir, voilà, machin, etc.
Et ça, je sais que ça plaît parce qu’on a eu beaucoup de retour du public là-dessus.
Donc, ça fait partie, si tu veux, de notre démarche aussi de renouer la confiance et d’aller avec son plan.
C’est-à-dire qu’aujourd’hui, le public a besoin de beaucoup plus de transparence, de savoir qu’on leur explique pourquoi nos choix, pourquoi est-ce qu’on traite tel sujet, comment on l’a vérifié, qui on est allé voir, etc.
Et encore une fois, mon rôle n’est pas de dire, voilà, c’est la vérité vraie parce que moi, journaliste estampillé, professionnel, j’ai la réponse, non.
C’est de dire, voilà, moi en tant que journaliste, j’ai pris cette rumeur que vous avez vue largement circuler, je vais confronter à une enquête journalistique poussée avec telle et telle et telle source, voilà, et je m’arrête là.
S’informer, c’est aussi se doter d’outils pour faire marcher son esprit critique, pour se faire sa propre opinion, comme tu le dis, à partir des faits, bien sûr.
J’aimerais parler de ta démarche, celle que tu as en réalisant des interventions aussi auprès des jeunes publics, dans des collèges, un peu partout en France.
Est-ce que tu perçois un intérêt déjà des plus jeunes sur ces questions?
Qu’est-ce qu’ils te demandent, en quelques mots?
Est-ce qu’ils sont conscients dès le plus jeune âge?
Souvent, on commence au collège à avoir son premier smartphone, donc ça veut dire qu’il est possible qu’on ait ses premières informations avec ses premières fake news maintenant.
Alors, pour l’intérêt des jeunes d’abord, et après je te dirai notre intérêt à nous, mais l’intérêt des jeunes, alors moi déjà j’ai été surprise de leur éveil sur le sujet, c’est-à-dire qu’on arrive, on se dit, en tout cas dans mes premiers cours, j’arrivais en me disant, je vais leur expliquer aussi comment ça fonctionne, leur donner des clés, etc.
Et en fait, ils sont déjà au courant de beaucoup de choses.
Donc ça, déjà, ça me rassure et c’est super intéressant.
Encore une fois, mettons de la nuance dans ce qu’on fait, tout n’est pas noir ou blanc.
Moi, je ne jette pas la pierre aux jeunes qui aujourd’hui s’informent quand même essentiellement sur les réseaux sociaux, donc ils me le disent tous.
Je commence toujours mes cours par un sondage, où est-ce que vous allez chercher votre information.
L’essentiel, c’est sur les réseaux sociaux, TikTok, ils suivent un influenceur et à partir du moment où ils ont donné leur confiance à un influenceur, quel que soit son avis à cet influenceur sur une actualité, pour eux, ça vaut parole d’évangile.
Il faut le savoir.
À partir du moment où on le sait, on ne le juge pas, mais on va y aller.
On va aller avec eux et on va essayer de comprendre leur façon de s’informer, etc.
Et là-dessus, en fait, moi, ce que je fais, c’est que souvent, je leur fais travailler une information.
Donc, c’est eux qui décident du sujet et on fait des groupes.
Et ensuite, on se revoit une séance plus tard.
Et ils ont fait leur propre enquête.
Je leur demande juste d’avoir trois sources sur le sujet.
Pas que l’influenceur X.
On va appeler alors, non, mauvais choix, Y.
Parce que X, j’en ai savu des autres choses.
Voilà, pas que Y.
Je voudrais avoir deux autres sources.
Et souvent, quand ils vont chercher d’autres sources, ils se rendent compte qu’en fait, la réalité est un peu plus complexe, que voilà, il y a des choses qu’on ne leur a pas forcément dites, etc.
Donc c’est super intéressant.
Leur retour est super intéressant.
Mais ils ont un esprit critique, les jeunes.
Il ne faut pas le sous-estimer parce que vraiment, voilà, moi quand je leur soumets une image, je leur dis qu’est-ce que vous en pensez, etc.
Ils ont des réflexions, si tu veux, et qui sont très intéressantes.
Merci pour ce témoignage.
Et l’intérêt pour vous en tant que rédaction, d’aller vers les jeunes, ça vous nourrit aussi?
Oui, ça nous nourrit forcément.
Enfin voilà, une rencontre nous nourrit.
Donc là, je rencontre des jeunes un peu partout en France.
Et là, récemment, j’étais aussi avec des jeunes qui étudient dans les lycées français de l’étranger, qui se destinent à être de futurs ambassadeurs, etc.
Donc là encore, un enjeu aussi de lutte contre la désinformation.
C’est super intéressant.
J’échange avec eux, je vois comment ils s’informent.
Ça nous aide nous aussi parce qu’il ne faut pas oublier que ces jeunes ne regardent pas les médias pour lesquels je travaille.
C’est assez rare, ils regardent le JT quand ils sont avec leurs parents ou leurs grands-parents.
Mais d’eux-mêmes, ils me disent, on ne va pas forcément s’informer où ils sont très peu à le faire.
Et sur LCI non plus.
Donc voilà, on fait des petits formats sur les réseaux sociaux, mais ce n’est pas suffisant.
Je pense qu’il faut créer ces moments d’échange.
Et je pense que quand on fait du fact checking, d’ailleurs, on n’est pas les seuls aux vérificateurs à le faire.
Je crois que tous les médias de fact checking le font à peu près.
La boucle est bouclée quand tu as ces moments d’échange, je pense.
Donc, pourquoi?
Parce que c’est tout simplement eux qui s’informent le plus sur les réseaux sociaux aujourd’hui et qui sont de fait les plus exposés aux fake news.
Donc on est obligé, si tu veux, pour boucler la boucle de la lutte contre la désinformation, d’avoir ces moments d’échange, je pense.
Samira El Gadir, journaliste et coordonnatrice, donc de la cellule des vérificateurs et de vérification des faits, des rédactions du groupe TF1 Info.
On te retrouve chaque semaine dans le JT de TF1, le samedi, le jeudi sur LCI et tous les contenus de ton équipe chaque jour sur les sites internet d’information du groupe et notamment l’application TF1 Info et les réseaux sociaux.
Samira, merci d’être passée dans Soluble(s).
C’est la fin de cet épisode.
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TF1 : Chronique “Info/Infox” ; le samedi dans le journal de 20H.
LCI – canal 26 de la TNT : le jeudi dans « LCI MIDI ». - Suivre TF1 sur les réseaux sociaux et retrouvez chaque semaine un décryptage vidéo réalisé par l’équipe de Vérificateurs ( TikTok et Instagram)
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Lire aussi: Le “baromètre sur la confiance des Français dans les média” (Kantar Public – onepoint pour La Croix)
TIMECODES
00:00 introduction
01:29 Le parcours de Samira
03:08 Les fake news, c’est quoi au juste ?
05:01 Pourquoi TF1 et LCI ont une équipe dédiée à la lutte contre la désinformation
08:07 Quelles infos ou intox qui attirent l’attention des vérificateurs ?
11:38 Les méthodes de vérification
14:12 Les réseaux sociaux et la propagation des fake news
18:54 Les téléspectateurs peuvent demander des vérifications
21:27 La confiance du public dans les médias
25:11 Les jeunes et leur sensibilisation
28:23 Merci à Samira El Gadir !
Fin
Propos recueillis par Simon Icard.
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Simon
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