[TRANSCRIPTION] Une “Sécu” de l’alimentation, ça ressemblerait à quoi au juste ?
Une “carte vitale” pour bien se nourrir et pouvoir choisir. L’alimentation est trop souvent le poste budgétaire sur lequel on arbitre lorsque l’on n’a pas ou peu de moyens financiers. Boris Tavernier ne s’y résigne pas.
Écouter plus tard150 euros par mois, pour bien manger
Et si la solution était de créer une nouvelle branche de la sécurité sociale ? Elle ouvrirait un droit à disposer de 150 euros à dépenser chaque mois pour son alimentation. Les cotisations seraient établies en fonction des revenus de chacun.
L’idée ancienne d’une “Sécu de l’alimentation” refait surface, portée par des associations et certaines collectivités locales en France, où des expérimentations se multiplient.
Mais alors, cela ressemblerait à quoi concrètement ?
Transcription (automatisée)
Article source : Une “Sécu” de l’alimentation, ça ressemblerait à quoi au juste ?
Bienvenue dans un nouvel épisode de Soluble(s).
Aujourd’hui, je souhaite médiatiser une idée qui pourrait faciliter un accès équitable à une alimentation saine, locale et diversifiée au plus grand nombre ou de façon universelle.
On va en parler ensemble.
Bonjour Boris Tavernier.
Bonjour
Tu es le fondateur de VRAC, une association engagée pour la justice alimentaire et qui a mis en place un réseau d’achat local qui installe des épiceries bio à prix abordables dans des quartiers populaires.
Tu es très engagé sur un sujet, celui de la Sécurité sociale de l’alimentation.
On va en parler dans cet épisode.
C’est une idée ancienne qui refait surface en France et notamment avec toi.
Mais d’abord, vous le savez, dans cet épisode, j’aime bien connaître le parcours de mes invités.
Boris, qu’est-ce qui t’a conduit à t’investir dans ces sujets?
Tu es un ch’ti qui a atterri à Lyon.
Exactement.
Je suis arrivé à Lyon au début des années 2000 de mon Pas-de-Calais natal.
Et j’ai directement, après des petits boulots alimentaires, mais pas super bio, j’ai vraiment investi le champ de l’alimentation et d’abord via le soutien à l’agriculture paysanne, en montant un bar-restaurant, salle de concert avec deux amis.
C’était une coopérative de SCOP, il n’y avait pas de chef, on était tous associés et salariés.
Et l’objectif, c’était déjà d’avoir des produits en circuit court, des produits bio, de soutenir l’agriculture paysanne et d’avoir des prix accessibles.
On était déjà aussi installé dans un quartier populaire de Lyon, le quartier de La Guillotière, qui s’est quelque peu gentrifié depuis.
Et j’ai fait ça une dizaine d’années à servir des bières pour pouvoir programmer la culture et soutenir les paysans locaux.
Sur le terrain, de l’utopie à l’expérimentation, parlons de l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation.
C’est quoi au juste?
Il faut déjà partir du constat qu’en France, il y a à peu près 10 millions de personnes qui sont en précarité alimentaire.
10 millions de personnes qui ne choisissent pas leur alimentation, qui consomment par défaut, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens, soit parce que sur leur territoire, dans leur quartier, il n’y a pas d’offre de produits de qualité.
Donc ça, c’est un premier constat.
Il y a plus de entre 4, 6, 8 millions de personnes à l’aide alimentaire.
Les chiffres varient beaucoup selon à qui on les demande.
Et on fabrique même spécialement de la nourriture, si on peut appeler ça nourriture, pour les plus pauvres.
Et en face de ça, on a des paysans en souffrance.
50 % de paysans qui sont au RSA, même 30 % qui gagnent 300 euros par mois.
Donc, j’ai dit souvent que notre système alimentaire est un tueur en série.
Il tue la planète, il tue les mangeurs, il tue l’environnement, il tue aussi beaucoup trop d’animaux.
Donc, une fois qu’on a vu ça, depuis 40 ans, on a souvent des politiques spécifiques.
L’aide alimentaire en est une.
Des politiques pour les pauvres.
Et malheureusement, les politiques pour les pauvres, ça reste des pauvres politiques.
Et aujourd’hui, la Sécurité sociale de l’alimentation, ça me semble être la solution, en tout cas la seule sur la table aujourd’hui qui pourrait à la fois permettre de soutenir ce monde paysan qui souffre et de permettre aux mangeurs de mieux manger.
La base, c’est vraiment de se calquer sur le régime général de la Sécurité sociale, tel qu’on a connu après-guerre, et de créer une nouvelle branche alimentaire à notre Sécurité sociale, sans notre carte vitale.
C’est-à-dire que les Français connaissent bien le système de la carte vitale.
Là, le but, c’est que chacun puisse contribuer à hauteur de ses moyens, et en échange, avoir une alimentation accessible.
Mais c’est la fin des magasins ou comment ça marcherait?
Il y a vraiment trois piliers.
Le premier pilier, c’est vraiment l’universalité.
Ça, c’est hyper important que ça soit pour tout le monde.
D’ailleurs, quand on va chez le médecin, quels que soient nos revenus, tout le monde est remboursé.
Je n’ai jamais entendu des riches se plaindre d’être remboursé chez le médecin.
Donc voilà, le côté universel est hyper important.
On parle de 150 euros par mois.
Ça, c’étaient les chiffres avant l’inflation.
Donc, au-delà de ce qu’il va falloir augmenter par personne pour pouvoir mieux se nourrir.
Pourquoi bloquer un montant?
Parce que l’alimentation, c’est toujours la variable d’ajustement.
Une fois qu’on a payé le loyer et les factures, c’est toujours sur ce qui nous nourrit qu’on va gratter un petit peu quelques euros.
Donc, de sanctuariser ce budget-là, c’est vraiment quelque chose d’important.
Et ce qui est aussi important, c’est de remettre les citoyens, les mangeurs au cœur de notre système alimentaire.
Donc, c’est vraiment ce principe de démocratie alimentaire.
C’est qu’on pourrait imaginer créer des caisses de conventionnement, encore une fois, comme sur le modèle de la Sécurité sociale du régime général, des locales, localement, des caisses de conventionnement où on pourrait choisir comment utiliser ces 150 euros.
Est-ce qu’on va conventionner des produits?
Est-ce qu’on va conventionner des lieux de distribution?
Et ça, c’est vraiment aux mangeurs et aux mangeuses de se saisir de ça et de choisir.
Et enfin, le dernier pilier, ça reste la cotisation.
Là, il y a encore des réflexions.
Est-ce que c’est effectivement une cotisation sur les salaires, selon les revenus?
Est-ce que l’entreprise participe?
Est-ce que l’État participe?
Est-ce qu’on se sert dans les 100 milliards d’euros d’évasion fiscale?
Ou est-ce qu’on peut aussi imaginer faire le lien avec la santé?
Et aujourd’hui, les dépenses de santé liées à une mauvaise alimentation, ça tourne autour de 100 milliards d’euros par an.
On tourne 25 milliards pour le diabète.
Donc, il y a des chiffres assez énormes.
Et donc, c’est aujourd’hui un projet qui pourrait permettre tout ça, de régler plusieurs problèmes en même temps.
Projet systémique, projet politique.
Donc, au bon sens du terme, tu dis que le sujet de l’alimentation, en quelque sorte, ce n’est pas juste avoir accès à des calories, à se nourrir, c’est pouvoir choisir ce que l’on mange.
C’est donc un sujet évidemment politique.
Mais comment le faire démocratiquement?
Comment aboutir à cette Sécurité sociale de l’alimentation?
Déjà, il faut expérimenter et montrer que ça fonctionne.
Depuis quelques années, il y a un collectif qui s’appelle le Collectif pour une Sécurité sociale de l’Alimentation, composé de syndicats agricoles, de chercheurs, d’associations citoyennes ou environnementales qui travaillent là-dessus.
Et il y a des expérimentations locales qui sont nées.
La plus ambitieuse a démarré début 2022 à Montpellier, ça s’appelle la caisse alimentaire commune.
Et ça fonctionne en fait de fait à vue la démocratie, ils ont tiré au sort des citoyens, ils ont créé un conseil citoyen d’alimentation de 47 personnes qui se retrouvent tous les 15 jours le samedi matin pour travailler à ce projet Montpellier 1.
Depuis un an, un peu plus d’un an, tout le monde est encore présent, donc on n’a perdu personne, donc c’est quelque chose qui intéresse.
Ce qui est important aussi, c’est cette question de mixité de public.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de préjugés, les pauvres, c’est la mal-bouffe, ça ne les intéresse pas de bien manger.
Non, en fait, il y a une étude de l’hydrie qui montre que quelle que soit la catégorie socio-professionnelle, c’est le même pourcentage de personnes qui a la volonté de bien se nourrir.
Donc, c’est aussi quelque chose d’important.
Si je reviens à Montpellier, il y a 25 organisations qui se sont rassemblées, des associations agricoles, citoyennes, d’éducation populaire, ce collectif de 50 personnes.
Et aujourd’hui, il y a 400 personnes qui reçoivent chaque mois 100 euros en monnaie locale qui s’appelle la Mona à Montpellier et qui peuvent utiliser dans une dizaine de points de distribution.
Donc, on va tenter de continuer de capitaliser là-dessus, il y a toujours le travail de recherche en parallèle pour pouvoir aussi donner un peu plus de poids à notre expérimentation et puis essayer de convaincre des décideurs.
Ce qui est intéressant, c’est que ça commence à pousser dans beaucoup de collectivité.
La métropole de Lyon va débloquer 200 000 euros pour faire une expérimentation à la rentrée de 2023.
Ça bouge aussi sur Nantes, sur Bordeaux, sur Paris.
Donc, ça, c’est quelque chose qui nous motive de voir.
On touche à quelque chose, les médias commencent à en parler.
La preuve, Simon, il dit que tu es celui qui nous questionne là-dessus aujourd’hui.
Et ça commence à intéresser les politiques.
Au niveau gouvernemental, c’est plus compliqué.
C’est quelque chose qui fait peur et on voit ça comme un trou abyssal, qui est celui de la Sécurité sociale.
Et d’ailleurs, ce qui est intéressant, c’est que lors du Conseil national de l’alimentation et de l’avis 91 de décembre 2022, il y a eu énormément d’abstention parce qu’ils ont préconisé d’expérimenter la Sécurité sociale de l’alimentation.
Donc, c’est encore un sujet clivant, mais je pense que c’est une énorme avancée sociale et environnementale.
Des avancées, des expérimentations, tu le disais.
Alors, il y a des grandes villes, il y a aussi quelques petits villages, dont ce village du Vaucluse, auquel je pense et que je connais personnellement.
J’étais surpris de l’apprendre, qu’à donner dans le Vaucluse, 10% des habitants participent à la caisse alimentaire.
Ils sont 400 à donc contribuer, cotiser à cette caisse.
Tout le monde ne paie pas la même chose, 400 sur 4000 habitants.
C’est vraiment ça, la condition du succès de cette expérimentation.
C’est-à-dire que si vous avez les moyens, vous payez le prix normal quelque part de vos courses.
Et si vous n’avez pas les moyens, c’est quelques euros, c’est ça?
Oui, c’est exactement ça.
Tu parles du Maki, effectivement, qui était un des pionniers à travailler sur ces questions.
Sur Montpellier, c’est le collectif qui a choisi aussi par lui-même de fixer les montants de cotisation, donc ça va de 10 euros à 150 euros.
Certains cotisent 150 pour avoir 100.
Malheureusement, aujourd’hui, il n’y a pas assez de personnes riches engagées qui financent 150 pour avoir 100.
C’est pour ça qu’il faudrait que quand on passera au niveau supérieur, au niveau national, ce soit imposé.
On a des financements en chers de l’argent à côté, privés, au public.
La métropole de Montpellier et la ville de Montpellier sont très investis.
Des fondations comme la Fondation Carasso ou la Fondation de France soutiennent aussi pour compenser ce manque.
Ce n’est pas un projet qui a besoin d’être dans une grande ville.
On peut imaginer ça partout, la démocratie.
On peut la faire vivre partout.
Et on peut être assez surpris des résultats.
On pourrait imaginer qu’on donne cet argent et les personnes font ce qu’elles veulent avec.
Sauf qu’aujourd’hui, on est trop contraints par la publicité, par les promotions pour pouvoir acheter en bonne conscience.
Donc, il y a besoin quand même de comprendre ce système alimentaire avant de pouvoir faire aussi les bons choix.
Et on va parler maintenant de VRAC.
Mais évidemment, il y a un lien et notamment sur le terrain que tu fréquentes au quotidien, le terrain de l’alimentation, celui des quartiers aussi et de l’accès à l’alimentation.
Il y a la représentation des producteurs locaux aussi.
C’est une dimension dont on va parler.
Donc, quelques mots de VRAC.
Je le disais en introduction, c’est une association qui a créé un réseau d’achats local et qui agit dans la France entière.
Vous travaillez spécialement dans les quartiers populaires.
Est-ce qu’on peut dire que vous amenez le bio au pied des cités?
En tout cas, on fait en sorte que les gens aient le choix, ce qui n’était pas le cas il y a encore 10 ans avant qu’on démarre.
Parce que quand vous allez dans une banlieue, quelle qu’elle soit, vous avez le droit à un discounteur au mieux avec des produits à premier prix qui ne sont vraiment pas terribles pour la santé.
Il y a encore des enjeux de santé très forts dans les quartiers.
Il y a 4 fois plus de diabétiques que la moyenne nationale dans les quartiers populaires.
C’est vraiment les quartiers populaires qui sont les premières victimes de ces inégalités.
Donc, on s’est investi sur le territoire là, en ayant conscience aussi que même dans la campagne, dans la ruralité, dans plein d’endroits, il y aurait besoin.
Et nous, dans notre modèle, on est effectivement dans les banlieues.
Et ça fonctionne plutôt pas mal depuis 10 ans maintenant.
On est dans 90 quartiers populaires en France et en Belgique, avec ces créations d’épiceries éphémères.
Donc, c’est ces groupements d’achat qui permettent d’accéder à des produits bio locaux chaque mois.
Et puis, on s’amuse à plein d’autres choses, des concours de cuisine, des visites à la ferme pour rencontrer les paysans et renforcer ce lien entre les mangeurs et ceux qui nous nourrissent des livres.
On fait beaucoup de choses et on tire ce fil de l’alimentation sans oublier que le partage et le plaisir sont des priorités à retrouver.
90 lieux, est-ce que tu peux nous donner quelques exemples des noms que peut-être tout le monde pourrait reconnaître ou connaître, même si je mettrai des informations en description.
Je crois que l’adhésion est à partir d’un euro pour les habitants du quartier.
Oui, on se base sur la géographie prioritaire.
Vous habitez un QPV, c’est un euro l’adhésion, prix coutant sur tous les produits.
Et là, à la rentrée, on met en place une tarification coup de pouce.
Avec l’inflation et toutes ces difficultés des dernières années, on se rend compte que les habitants sont vraiment en souffrance et que le prix coutant, le prix d’achat ne suffit plus.
On va mettre en place une tarification à moins 50% pour permettre à encore plus de monde de bien se nourrir.
Pour ça, évidemment, on cherche toujours des moyens pour pouvoir continuer cette action-là.
Vous pouvez nous retrouver sur les métropoles de Lille, de Rennes, de Paris, de Strasbourg, de Bordeaux.
On est un petit peu partout aux quatre coins de la France.
Et aussi sur plusieurs campus universitaires.
Et ça, c’est vrai, spécifiquement à Lyon, Strasbourg, Bordeaux et Rennes, où on a créé VRAC Université en 2019.
Tu le disais, ça fait 10 ans, avec le recul, comment on ne peut accueillir la première fois avec cette idée et maintenant, du coup, qu’elle a pris son essor?
C’est rigolo parce qu’au début du projet, c’était le bio ce n’est pas pour nous, c’est pour les riches.
Et être rigolo, ça coûte cher.
Et même maintenant, les gens se rendent compte qu’ils peuvent se payer ça.
En fait, ils se sentent juste considérés, ils se sentent juste comme tout le monde.
Et c’est un peu la volonté du plus grand nombre.
On veut juste être comme son voisin et pas être obligé d’aller à l’aide alimentaire ou d’acheter des produits quasi périmés.
Donc ça, c’est quelque chose qui est intéressant.
Il y a eu une petite évolution parce qu’il y a une grosse démocratisation du bio dans les grandes surfaces il y a quelques années.
Mais les habitants continuent de venir parce qu’ils n’avaient pas confiance au bio industriel et puis parce qu’en fait, ils ont besoin de faire du lien.
Et ça, c’est quelque chose qui est aussi très fort au-delà de l’accès à l’alimentation, c’est de pouvoir passer du temps ensemble.
Donc on a toujours des adhérents qui sont là depuis plus de dix ans et qui viennent chaque mois.
Donc il y a une vraie fidélité au projet et toujours des demandes sur les autres territoires.
Dix ans après, donc Boris Tavernier, fondateur de VRAC, merci de nous avoir éclairé sur tous ces sujets, notamment, on va suivre l’évolution de ces expérimentations de Sécurité sociale de l’alimentation et aussi le développement du réseau VRAC.
Boris, merci d’être passé dans Soluble(s).
Voilà, c’est la fin de cet épisode.
Si vous l’avez aimé, notez-le, partagez-le et parlez-en autour de vous.
Vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site Internet csoluble.media
À bientôt 😉
(Seul le prononcé fait foi)
POUR ALLER PLUS LOIN
Le site du réseau VRAC : https://vrac-asso.org/
TIMECODES
00:00 Introduction
01:04 Le parcours engagé de Boris Tavernier
02:08 “Notre système alimentaire est un tueur en série”
03:33 Un système inspiré de la sécurité sociale
06:28 Des expérimentations locales
10:06 Qui cotise, combien ?
11:23 L’association VRAC, le bio aux pieds des cités
15:08 Merci à Boris Tavernier
Fin
Propos recueillis par Simon Icard.
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