La crise climatique est un défi planétaire, mais comment mobiliser concrètement chaque citoyen ? Dans cet épisode de Soluble(s), Sylvaine Dhion, ingénieure en énergie et porte-parole de l’association Les Shifters, nous éclaire sur l’action de ce collectif de bénévoles qui œuvre pour une France neutre en émissions de gaz à effet de serre. Née en 2014, l’association Les Shifters rassemble aujourd’hui plus de 30 000 bénévoles et agit dans le sillage du Shift Project, un think tank présidé par Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergie-climat.
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L’énergie, au cœur du défi climatique
Si le lien entre énergie et problématique climatique est désormais une évidence partagée, Les Shifters s’attellent à en démystifier les enjeux. « On sait aujourd’hui que c’est un problème avéré et c’est avéré que ce problème, il est d’origine humaine et qu’il est dû aux gaz à effet de serre qui sont émis dans l’atmosphère par les activités humaines », affirme Sylvaine Dhion.
L’augmentation de quelques degrés de la température moyenne du globe a des conséquences désastreuses, comme en témoigne la sécheresse de 2022 qui a causé deux milliards de pertes dans le domaine agricole. L’année 2024 a été l’année la plus chaude jamais mesurée sur terre.

Graphique : Statista.com.
Au-delà des impacts climatiques, la dépendance aux énergies fossiles, importées à 99 % en France, pose un problème d’indépendance énergétique. Un blocage du détroit d’Ormuz, par où transitent 30 % du commerce mondial de pétrole, paralyserait notre économie.
Pour faire face à cette double contrainte, il est impératif de réduire nos émissions de CO2 d’au moins 5 % par an, un rythme comparable à celui observé durant la période du Covid. Si la France a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 6,8 % entre 2022 et 2023, cette baisse n’était que de 1,8 % l’année suivante, un rythme encore insuffisant pour atteindre l’objectif des 5 %.

Infographie : MyCO2 – Carbone4.
Il faut également considérer l’empreinte carbone globale, qui inclut les émissions générées à l’étranger pour nos consommations intérieures. L’empreinte carbone moyenne d’un Français est de dix tonnes équivalent CO2 par an, alors que l’objectif est de descendre à deux tonnes d’ici 2050 pour faire notre part, pour réussir à contenir le réchauffement climatique à +2 °C en 2100.
>> Voir aussi : Calculer son empreinte carbone individuelle pour agir dès demain

Photo : Pexels.
Les leviers d’action pour les citoyens
À l’échelle individuelle, trois postes d’émissions sont particulièrement importants : la consommation de viande de ruminants, l’utilisation de la voiture thermique pour les trajets quotidiens et l’avion. La combustion des énergies fossiles dans les voitures thermiques et les avions est une source majeure de CO2 sur lesquelles agir.

Vue du quartier d’affaires de La Défense dans les Hauts-de-Seine, aux portes de Paris. (Pexels)
Pour Sylvaine Dhion, si l’action individuelle est cruciale, sa portée reste tout de même circonscrite face à l’ampleur du défi. C’est là qu’intervient l’action collective des Shifters qui vise à transformer la société pour faciliter la transition. L’association propose des « portes de sortie » pour que la transition soit accessible à tous, en mettant en place des mécanismes sociétaux qui aident les Français à s’adapter, par exemple via le développement de transports en commun décarbonés ou d’aides pour l’acquisition de véhicules électriques.

Photo : Pexels.
Une approche experte et ancrée sur le terrain
Les Shifters se distinguent par leur approche à la fois experte et de terrain. Sylvaine Dhion explique que l’association s’est volontairement diversifiée : « on n’est pas tous des ingénieurs, on est de plus en plus divers et variés et on est très contents de ça parce que ça nous évite d’avoir des biais et on a des solutions qui sont de plus en plus robustes grâce à ça. Donc, on n’a pas que des ingénieurs, on a des médecins qui sont concernés par le dérèglement climatique, on a des agriculteurs, beaucoup, on a des sociologues, on a des ouvriers et on cherche à être le plus représentatif possible de la société française ».

Capture d’écran – theshifters.org.
Il existe aujourd’hui plus de 30 groupes locaux en France métropolitaine, 3 dans les territoires ultramarins et 12 groupes internationaux. Ils conçoivent des solutions concrètes pour une économie sans énergies fossiles, avec des cercles thématiques spécialisés (énergie, transports, santé, sport, culture, agriculture, etc.).
Un rapport récent sur l’agriculture, par exemple, a intégré les retours de près de 8 000 agriculteurs consultés via une enquête et des entretiens qualitatifs. Parmi les solutions proposées, l’utilisation d’engrais organiques issus des déjections animales ou des déchets urbains permettrait de réduire la dépendance aux engrais pétrochimiques.
Cette proximité avec le terrain est essentielle pour Les Shifters. L’objectif est de s’assurer que les solutions envisagées soient à la fois efficaces et réalisables, en impliquant directement ceux qui sont concernés. L’association travaille également avec les collectivités locales pour la transition des territoires et éviter une « mal-adaptation » à la nouvelle donne. Par exemple, au lieu de construire des digues en béton contre les inondations, Les Shifters préconisent de reméandrer les rivières et de replanter de la ripisylve (forêt des rives), ce qui protège les villes et capte du CO2.
Une mobilisation citoyenne inédite
The Shift Project, think tank, présidé par l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, a lancé, mi-mai 2025, une campagne de financement participatif, un appel aux dons destiné à imaginer un futur durable, l’économie de l’après-pétrole.
La page de la plateforme Ulule intitulée « Décarbonons la France ! Le programme du Shift pour 2027 » a battu le record européen de crowdfunding en un mois et demi. Cette initiative, qui a récolté plus de 4 millions d’euros auprès de 32 000 personnes, témoigne d’une forte capacité de mobilisation chez ces Français en faveur de à la transition climatique. Une partie de cette somme (10%) sera reversée aux Shifters, “association sœur du Shift Project”, pour organiser des événements comme “l’UniverShiftée”, l’Université d’été des Shifters, et des festivals de cinéma pour inspirer la transition. Les fonds serviront également à financer de nouveaux plans sectoriels pour l’industrie ou la santé, et à mener des actions de lobbying auprès des décideurs politiques en vue des élections de 2027.
Les Shifters se positionnent aux côtés du Shift Project comme un acteur qui souhaite influencer le débat public en rejetant toute appartenance partisane. Bien que non partisans, ils s’attachent à informer la société sur la base de faits scientifiques rigoureux et documentés, en rendant leurs publications et leurs calculs accessibles.
Face à une progression du climatoscepticisme en France, leur mission d’information et de formation paraît d’autant plus importante. Selon un dernier baromètre de l’ADEME, 29 % des Français considèrent en 2025 que « les scientifiques exagèrent les risques », soit une hausse de 7 points en un an et de 12 points depuis 2020.
Alors que l’objectif de rester sous la barre des +1,5 °C de température globale par rapport à l’ère préindustrielle semble de plus en plus hors d’atteinte, il est toujours possible de contenir le réchauffement à +2 °C, conformément à l’Accord de Paris, en atteignant la neutralité carbone d’ici 2050. Pour Sylvaine Dhion, la bonne nouvelle est que « c’est nous qui sommes responsables donc c’est nous qui avons les solutions. Les solutions, elles existent ».
POUR ALLER PLUS LOIN
- Le site Internet des Shifters
- Voir : “Décarbonons la France !”, la page Ulule de The Shift Project citée dans l’émission
TIMESCODES
00:00 Introduction, enjeux et accueil
02:01 Le parcours de Sylvaine Dhion
02:47 Pourquoi l’énergie est centrale ?
01:51 L’impact de quelques degrés
06:41 La trajectoire de la France
07:48 Empreinte carbone individuelle
13:19 “La force de frappe” des Shifters
16:19 L’approche des Shifters sur le terrain
19:31 Campagne de financement record
22:52 Positionnement politique des Shifters
25:53 Face au climatoscepticisme
28:30 Atténuation et adaptation
30:23 Merci à Sylvaine
Fin
Propos Réaccueillis par Simon Icard
CITATIONS
En direct de Sylvaine Dhion, porte-parole de l’association “Les Shifters”
– Sur son parcours
« J’ai commencé à poser un peu des questions et on m’a parlé de cette association, Les Shifters, que j’ai rejointe en 2017 et ça m’a beaucoup plu parce que les Shifters, c’est une association qui est à la fois solide et fun ! »
– Sur l’ampleur du réchauffement climatique
« L’écart entre la température moyenne à l’époque de la dernière ère glaciaire où toute l’Europe était recouverte de glace et maintenant c’est quatre degrés, donc c’est vraiment très peu. Et quatre degrés, ça nous sépare d’une ère glaciaire du climat qu’on a aujourd’hui. »
– Sur la nécessité d’agir face à l’indépendance énergétique
« Si pour des raisons géopolitiques aujourd’hui, on a une fermeture, même temporaire, du détroit d’Ormuz, on va avoir des tensions sur l’approvisionnement de pétrole. Ce n’est pas juste que ce sera plus cher, c’est qu’il y aura, il n’y aura plus suffisamment de pétrole. »
– Sur les efforts individuels face au problème global
« On a une marge de manœuvre qui, même si elle est loin d’être négligeable, elle reste limitée. »
– Sur le rôle des citoyens dans la transition
– « Les Français, malgré ce qu’on peut entendre dans certains médias, aujourd’hui, ils sont très majoritairement pour la transition. Donc à 80 90 %, les gens, ils ont envie d’agir puisqu’ils ont bien compris le problème. »
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Simon
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