Sur une planète qui franchit des limites écologiques critiques, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour dépasser la logique traditionnelle de « réduction d’impact » et exiger des entreprises qu’elles deviennent de véritables moteurs de régénération du vivant et d’innovation économique.
Pour Soluble(s), Fabrice Bonnifet, président de l’association GenAct et du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), explore une idée qui tranche avec le discours habituel : transformer les entreprises en forces régénératrices, capables de créer de la richesse tout en restaurant la nature.

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Ce cap prend du relief quand on sait qu’en France 84 % de l’empreinte carbone liée à la consommation provient des étapes de production de biens et services (qu’ils soient fabriqués localement ou importés), contre 16 % liés aux usages directs des ménages , et que la moitié du PIB mondial dépend directement de la nature.
- Une décharge à ciel ouvert à Java Ouest en Indonésie (Pexels)
Face à l’urgence climatique et à la crise accélérée de la biodiversité, la rigueur scientifique rappelle l’ampleur du défi : selon les dernières actualisations, sept des neuf limites planétaires sont aujourd’hui considérées comme franchies, la stabilité du système Terre étant bel et bien entrée en “zone de risque”.
Au-delà de la RSE, l’impératif de régénération
Fabrice Bonnifet, fort de plus de vingt ans d’expérience dans le développement durable, constate les limites de l’approche RSE classique. Même si cette dernière a permis d’amorcer la transformation de certains secteurs et à réduire certaines pollutions, elle est jugée aujourd’hui insuffisante. Il s’agit désormais d’aller bien au-delà de la simple minimisation des dommages : la tâche cruciale, c’est la réparation et la restauration écologique. L’économie reste « extractiviste et linéaire » : elle extrait, consomme, jette, sans jamais restituer la valeur du capital naturel détruit. Les entreprises exploitent des ressources et des services écologiques non comptabilisés. Le défi-clé est donc de remodeler la chaîne de valeur pour que la « dette environnementale » contractée soit réellement remboursée au moyen d’une régénération mesurable des écosystèmes affectés.
Le modèle permacirculaire et ses fondements
Pour Fabrice Bonnifet, sortir du modèle linéaire est désormais essentiel, en adoptant une « économie permacirculaire » : fonctionnalité, réparabilité, sobriété et mutualisation des biens. « La vraie liberté, demain, ce sera de pouvoir jouir de tout sans forcément tout posséder. » Cela implique de repenser la raison d’être de chaque entreprise : « Le but n’est pas de produire mieux des choses qui ne devraient plus exister. » Tous les secteurs sont concernés. Certains – aviation de masse, croisières, activités fossiles – devront ralentir très fortement, voire s’arrêter, pour protéger le vivant. Il ne s’agit pas d’un simple virage technique : la mutation touche le modèle économique jusqu’aux indicateurs de performance – pour passer de la quantité à la qualité et à la résilience.
De la théorie à l’action : montrer que c’est possible
C’est pour répondre à ce défi que GenAct a vu le jour au printemps 2025. Objectif : accompagner chaque collaborateur et décideur, quel que soit le secteur ou la taille d’entreprise, pour prouver, sur le terrain, que régénérer n’est pas une utopie. GenAct propose des formations par métier (RH, achats, production…), partage un corpus de dix commandements pratico-pratiques, et organise la mise en œuvre de projets concrets, souvent en parallèle des modèles existants. « Il s’agit de créer une masse critique de projets crédibles, pour provoquer l’imitation et accélérer la transformation générale », souligne Fabrice Bonnifet.

Capture d’écran : GenAct.org.
L’accessibilité est au cœur de la démarche : l’adhésion annuelle (30 €) rend l’association ouverte à tous, et plus de 2 000 membres issus de tous secteurs et métiers sont déjà mobilisés. GenAct vise une transformation accessible au commerce local comme aux groupes industriels : « Toutes les entreprises peuvent devenir régénératives, même si certaines devront profondément repenser leur cœur de métier. »
Les partenaires de GenAct, relais de la transformation
GenAct n’agit pas seule : elle réunit un collectif de partenaires fondateurs qui lui permet de démultiplier son impact et ses outils sur le terrain.
La Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) anime la redirection des modèles d’affaires, La Fresque du Climat et The Week ancrent le diagnostic scientifique dans les équipes, Zei propose des outils de suivi RSE, tandis que Lumia, IF Initiative, Regen Ecosystem, Terra Institute, Sator, JoinNext, Les Pépites Vertes nourrissent la pédagogie et l’action sectorielle, et The Shifters propose des contenus et ses conférences . Avec LinkedIn France, la dynamique s’étend à grande échelle et touche de nouveaux publics dans tous les territoires. Chacun de ces partenaires apporte expertise, pédagogie, formation ou soutien méthodologique, pour rendre la transition réellement possible.
Croissance verte, post-croissance : un nouveau récit économique
Fabrice Bonnifet se démarque de la croyance persistante dans une croissance verte miraculeuse. Les principales revues scientifiques internationales montrent qu’aucun pays n’a réussi un “découplage absolu” entre croissance du PIB et pression écologique. « La croissance verte est une chimère. » Pour lui, il faut décroître rapidement sur tout ce qui est superflu, investir massivement dans ce qui protège le vivant et répond aux besoins essentiels, et repenser collectivement ce qui fonde la performance d’une économie prospère et durable.

Crédit photo : Claire Grandnom.
Les limites planétaires, qu’est-ce que c’est ?
Le concept des limites planétaires a été formulé en 2009 par une équipe du Stockholm Resilience Centre menée par Johan Rockström. Il identifie neuf seuils écologiques à ne pas franchir pour que la Terre reste habitable : climat, biosphère (biodiversité), cycles de l’azote et du phosphore, usage des sols, pollutions chimiques (“nouvelles entités”), ressources en eau douce, acidification des océans, ozone stratosphérique et aérosols.
En 2025, sept de ces limites sont franchies : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, le cycle de l’azote, le cycle du phosphore, le changement d’usage des sols, la pollution chimique, l’acidification des océans.
Deux limites : la couche d’ozone stratosphérique et la charge globale en aérosols atmosphériques n’ont pas été franchies à l’échelle planétaire, même si l’état des aérosols reste incertain et certaines régions du monde présentent des risques locaux. Respecter ces frontières n’est pas un choix moral ou politique, mais bien la condition de notre avenir collectif.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Voir : le site de l’association GenAct.
- Lire : “L’entreprise contributive – Concilier monde des affaires et limites planétaires” par Fabrice Bonnifet et Céline Puff Ardichvili aux éditions Dunod.
- Écouter aussi, le podcast “Le sens et l’action” proposé par le C3D.
TIMECODES
00:00 Introduction
02:09 Le parcours de Fabrice Bonnifet
04:23 Comprendre les limites planétaires
11:14 De la RSE à la régénération
15:08 Le modèle permacirculaire
20:02 L’association GenAct, du discours à l’action
25:43 Les “GenActeurs”
31:03 Tous les secteurs sont concernés
33:48 Croissance verte: une fausse promesse ?
38:56 Conclusion et ressources
40:33 Fin, merci à Fabrice Bonnifet !
Propos recueillis par Simon Icard.
CITATIONS
En direct de Fabrice Bonnifet, président de GenAct et du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D)
– Sur le dépassement de l’approche RSE, Fabrice Bonnifet estime qu’« il faut réparer, régénérer, et pas uniquement limiter les dégâts. »
– Sur le modèle économique actuel, il dénonce le fait qu’« on compte pas ce qu’on doit pour le restaurer. »
– Sur l’impératif pour certains secteurs, Fabrice Bonnifet affirme qu’« il n’y a pas d’autre solution que de, que de ralentir très fortement et à terme, d’arrêter » certaines activités.
– Sur le concept de « croissance verte », pour Fabrice Bonnifet : « c’est une chimère ».
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