Donner la parole aux enfants là où le silence règne. Pour Soluble(s), Laurent Boyet, capitaine de police et fondateur de l’association Les Papillons, présente un dispositif qui permet aux enfants victimes de violences de briser le silence. Plus de 600 établissements scolaires et périscolaires en France accueillent ces boîtes aux lettres blanches ornées de papillons verts et bleus, où les enfants peuvent écrire librement sur les violences qu’ils subissent.
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– Simon Icard : Bienvenue dans un nouvel épisode de Soluble(s). Aujourd’hui, je m’intéresse à un dispositif qui aide des enfants victimes de violences à briser le silence et prendre leur envol.
Bonjour ! Laurent Boyet.
– Laurent Boyet : Bonjour.
– Simon Icard : Tu es un capitaine de police et le fondateur de l’association Les Papillons. Des papillons verts qui s’affichent sur des boîtes aux lettres blanches que tu as installées dans plus de 600 établissements scolaires en France. Le but est de recueillir des petits mots écrits par des enfants qui font l’objet de harcèlement, de violence physique, de violence sexuelle et qui peuvent ainsi alerter, témoigner en toute sécurité.
Dans cet épisode, on va parler de ton approche qui se résume avec une formule très claire : « Si tu ne peux pas le dire, écris-le ». On va tout savoir et tout comprendre de ce phénomène des violences faites aux enfants qui touchent des centaines de milliers d’enfants chaque année en France, avec des actes de violence de toutes gravités et dans tous les milieux : l’école, la famille, le monde du sport et aussi l’espace numérique, avec les réseaux sociaux notamment.
Alors, tu nous diras ce qui se passe après que ton association a pris connaissance de chaque signalement. On va être très concrets et tâcher de mieux cerner ce qui se joue dans la société. Les réponses aussi que tu appelles de tes vœux.
Mais d’abord, on veut en savoir plus sur toi, sur ton parcours. C’est à partir de ton histoire personnelle, de ton vécu que tu as décidé de t’engager sur ce sujet en faveur de la libération de la parole.
Un parcours personnel pour une mission collective
– Laurent Boyet : Oui, tout à fait. C’est à partir de mon histoire. Moi, j’ai été victime de violences sexuelles par mon frère de l’âge de six ans jusqu’à l’âge de neuf ans. Et moi, il m’a fallu plus de trente ans pour trouver le courage. La force de libérer ma parole. Je l’ai fait en publiant un témoignage.
Je l’avais fait quelques années avant, en envoyant une lettre à une grande partie de ma famille pour expliquer qui j’étais, pourquoi j’avais été ce, ce, ce ce frère, ce fils, un petit peu à l’écart de tout le monde. Donc oui, moi il m’a fallu trente ans et quand j’ai libéré ma parole, je me suis promis de tout mettre en œuvre pour que les enfants d’aujourd’hui ne traversent pas les mêmes déserts que moi. Déserts de honte, de culpabilité, de solitude. Parce qu’on est vraiment seul quand on a été victime. Et je dirais, quels que soient les faits pour lesquels on a été victime, être victime dans l’enfance, ça fait peser une très grande solitude après.
– Simon Icard : Ça fait peser une solitude et donc briser ce silence. Alors, tu disais l’importance de l’écriture. Tu écrivais, enfant, dans un journal intime, ce que tu n’arrivais pas à dire. C’est par l’écrit aussi. Donc, tu as rédigé cette lettre à ta famille, à ta fiancée en 2006. C’est comme ça que tu as rompu le silence avant d’écrire et de témoigner dans un livre. « Tous les frères font comme ça. » C’est le titre du livre. Mais c’est ce que ton frère te disait pour que tu restes silencieux.
L’importance de l’écrit pour les enfants victimes
Alors pour bien comprendre la suite de cet épisode, je voudrais que tu nous expliques pourquoi l’écrit permet, selon toi, ce que la parole orale ne permet pas dans certains cas pour des enfants victimes ? Qu’est-ce qui qui bloque parfois ?
– Laurent Boyet : Déjà ce qui bloque, c’est que la plupart du temps, nos agresseurs nous disent que si on parle, si on dit quoi que ce soit à qui que ce soit, et ben il va nous arriver encore pire, ou il va nous arriver ça et je dirai encore une fois, quels que soient les faits pour lesquels on est victime.
Donc déjà, parler, c’est quelque chose qui nous est instinctivement interdit par nos agresseurs. Et puis même par nous même. Dire, s’entendre dire le mal qu’on nous fait, c’est quelque chose de très compliqué et c’est quelque chose que moi je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas m’entendre dire ce que mon frère me faisait. C’était, c’était quelque chose.
Et je crois que c’est pour ça que ça ne sortait pas.
En revanche, l’écrire, c’était pour moi quelque chose que je pouvais faire, d’une part parce qu’on me l’interdisait pas, et puis je dirais que c’était aussi une façon de le sortir littéralement de moi, de le mettre sur une feuille.
Et je crois que c’est toute la symbolique aussi de ce qu’on fait avec l’association Les Papillons, c’est qu’effectivement on demande aux enfants de sortir cette violence qu’on leur fait et de la poser sur sur une petite feuille pour que finalement ils la sortent d’eux-mêmes.
Donc je pense que vraiment, ce qui bloque pour pouvoir libérer sa parole, c’est le poids de nos agresseurs, l’emprise de nos agresseurs et le poids de tout ce qu’ils sont censés faire tomber sur nous, si jamais on parle. On nous répète, on nous répète à chaque fois qu’on nous fait du mal, que si on parle, il va nous arriver quelque chose, alors on ne parle pas.
Et puis on n’oublie pas qu’on est des enfants. Et quand on est enfant et qu’on a un adulte qui est censé être un adulte de référence qui nous dit quelque chose, et bien qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, c’est comme ça, on lui obéit.
Surtout si il y a cette emprise affective qui rentre en ligne de compte. Si c’est quelqu’un de la famille, quelqu’un qu’on apprécie, et bien, on va écouter ce qu’il va nous dire. Donc c’est, c’est c’est facile, toujours après coup, avec son regard d’adulte, quand il y a.
Quand il y a quelqu’un qui libère sa parole ou qui dit qu’il a été victime dans son enfance et. Et c’est facile de son regard d’adulte de dire Mais enfin, pourquoi t’as rien dit ? Pourquoi t’as pas parlé ?
Mais il faut se rappeler ce que c’est que d’être un enfant, qui plus est victime, pour comprendre que parler, c’est quelque chose qui nous est impossible.
La notion de confiance : « Je te crois »
– Et dans ton cas, donc à l’âge adulte, dans ton cas, tu as eu la chance d’avoir une fiancée qui t’a répondu « je te crois, je serai là ». C’est fondamental cette notion de crédit accordé à la parole et encore plus pour celle des enfants. On imagine.
En quoi cette dimension « je te crois » est au cœur du dispositif des boîtes aux lettres Papillons ?
– Pour nous, cette notion de « Je te crois », elle est vraiment au cœur de notre dispositif, c’est que nous, par comme une question, je dirais, de de survie, comme une question de de moralité. On croit, les enfants, on doit croire les enfants parce que. Parce que les enfants, ils n’ont pas cette notion de mensonge, cette notion de mensonge pour obtenir quelque chose ou quand ils ont cette notion de mensonge, c’est juste pour pousser un mensonge, pas grave, pour avoir un bout de gâteau, un cadeau, etc. Mais je crois que vraiment nous, à chaque fois qu’un enfant nous écrit et ben on va, on va vérifier, on va prendre en compte ce qu’il nous a dit.
Et moi j’ai pendant trois ans été proche d’Edouard Durand puisque je faisais partie de la CIIVISE, de la première CIIVISE. Et Edouard Durand avait cette phrase qui est tout à fait juste et que je ne cesse de répéter, c’est que « comme un principe de précaution, il faut croire les enfants ».
Donc cette phrase, j’ai vraiment décidé de la faire mienne et je veux vraiment, je demande à nos psychologues, quand on reçoit un mot, de partir du principe que ce que l’enfant nous écrit est vrai et à charge ensuite pour les services spécialisés ou les services d’enquête, quand ils vont être mis dans la boucle, de démontrer que c’est faux ou pas. Mais, mais nous, comme un principe de précaution, Quand un enfant nous écrit pour nous dévoiler quelque chose, on croit cet enfant.
Le fonctionnement des boîtes aux lettres Papillons
– Parlons donc en détail du fonctionnement de ces boîtes aux lettres blanches avec des papillons verts. Elles sont installées dans certains établissements scolaires, mais aussi périscolaires et extrascolaires. Ça concerne le monde associatif, le monde du sport.
Pourquoi avoir choisi de les installer dans ces différents lieux précisément ?
– Nous, on a choisi d’installer ces boîtes aux lettres dans ces différents lieux parce que c’est là où sont les enfants. Le but pour nous, le but pour nous, c’est d’aller là où sont les enfants. Et quel meilleur endroit que l’école pour avoir la certitude, à partir de l’âge de trois ans, de pouvoir trouver tous les enfants ? Donc, c’est pour ça que nous, on signe des conventions avec les municipalités qui sont les propriétaires des écoles et qu’on mène vraiment nos actions à l’intérieur de l’école.
Mais on a aussi tenu à les installer dans les clubs de sport parce que, malheureusement, c’est aussi un terreau de violence pour les pour, pour les enfants, mais c’est aussi un endroit où les enfants peuvent être dans un état d’esprit différent et peuvent être donc plus à même de pouvoir nous écrire quelque chose qu’ils ne nous auraient pas forcément écrit ailleurs, et notamment s’ils sont victimes dans les écoles, de harcèlement scolaire. C’est possible que le fait de libérer leur parole dans l’école les gêne un peu, alors que dans une structure sportive ou dans une structure péri-scolaire, c’est quelque chose qui pour eux sera peut-être plus facile à faire.
Mais principalement quand même notre action, elle est déployée dans les écoles autour des enfants qui sont les plus jeunes, qui qui font jusqu’en CM2. Même si on a des dispositifs pour les enfants les plus grands.
– Là où il y a les enfants évidemment, mais aussi extraits de leur univers familial. On sait que beaucoup de, la majorité des cas de violences, surviennent dans le monde familial.
Donc, c’est offrir cette possibilité d’alerter, de témoigner en toute sécurité ?
– Oui, et puis par l’écrit, c’est aussi éviter à un enfant de devoir demander à téléphone s’il veut faire le 119. Parce que les enfants, les enfants, quand ils sont jusqu’en CM2, la plupart du temps, c’est les études qui montrent, ils n’ont pas de téléphone et donc le seul moyen pour eux de libérer leur parole, c’est vraiment par le biais du 119. Donc s’ils veulent le faire, il faut qu’ils demandent un téléphone à quelqu’un qui immanquablement va leur demander pourquoi. Et ça risque potentiellement de les mettre en danger.
Donc vraiment, pour nous, le but avec nos boîtes à lettres Papillons, c’est d’aller au plus près de là où se trouvent les enfants et finalement de se mettre à leur hauteur pour qu’ils puissent nous écrire.
Et c’est vrai que les enfants les plus jeunes, c’est vers eux qu’on dirige toute notre action.
Du dépôt du mot à la prise en charge
– Alors, on a dit qu’on allait être très concrets. On continue de l’être. Comment ça fonctionne ? Prenons le point de départ. Le dépôt d’un mot par l’enfant. Il a accès à une fiche, un stylo et jusqu’à la prise en charge, qui a accès à ces signalements par la suite ?
– Nous, on signe des conventions avec les municipalités et qui nous disent qu’elles peuvent déployer tant de boîtes aux lettres dans leur, dans leur ville.
Ensuite, on demande à la municipalité d’identifier des catégories de personnes très précises, parmi lesquelles les personnes qui vont faire les sensibilisations aux enfants, les personnes qui vont être un peu référents dans ce process, qui vont être le lien entre la boîte aux lettres et l’association et puis les personnes les plus importantes à notre sens, ce sont les personnes qu’on appelle personnes de confiance, qui vont, quand il y a un mot dans la boîte aux lettres, la plupart du temps au moins deux fois par semaine, voir s’il y a des mots dans la boîte aux lettres.
La plupart du temps, dans les municipalités, on va dire que 9,5 fois sur 10, ce sont des agents de la police municipale ou des gardes champêtres, pour les villes les plus petites, qui vont regarder s’il y a des mots dans les boîtes aux lettres, puisque pour nous, ce sont des agents assermentés et ça nous permet d’avoir cette garantie-là au point de départ. Et quand ces agents vont voir s’il y a un mot dans la boîte aux lettres, ce mot, ils le prennent en photo et ils le déposent virtuellement sur un formulaire.
Et à partir du moment où le mot est déposé sur ce formulaire, c’est un formulaire qui est propre à chaque municipalité. Donc, nous, on sait de quelle municipalité, de quelle école vient ce mot. Et immédiatement, le mot et le message est crypté de bout en bout, c’est-à-dire du départ jusqu’à l’arrivée.
Et nos psychologues, quand elles reçoivent, quand elles reçoivent ce mail, doivent utiliser la clé de déchiffrement qui leur permet de pouvoir entrer dans le formulaire pour pouvoir récupérer le mot. Et ce sont donc nos psychologues, qui sont au siège de l’association, qui analysent et qui traitent tous les mots qui nous sont envoyés tous les jours au sein de l’association.
La garantie de l’anonymat et le traitement des signalements
– L’Enfant est invité, j’imagine, à signer de son nom pour pouvoir être retrouvé.
– Ça, c’est quelque chose d’assez important.
C’est que, à côté de la boîte aux lettres Papillons, on a un distributeur de mots préremplis sur lesquels on rappelle bien aux enfants qu’on a besoin de leur nom, de leur prénom, de leur classe ou de leur club de sport.
On leur demande s’ils écrivent pour eux ou pour un camarade. On leur demande s’ils connaissent aussi leur agresseur. Et ensuite, ils peuvent nous écrire au recto et au verso. La boîte aux lettres est posée au centre d’une affiche qui rappelle bien le fonctionnement de notre dispositif, et notamment cette importance de nous mettre son nom et son prénom. Et de. La boîte aux lettres est posée après une session de sensibilisation où là encore, on répète bien aux enfants que la boîte aux lettres Papillons, ce n’est pas un jeu puisque comme on leur dit si tu ne peux pas le dire, écris-le et que quand on ne peut pas dire quelque chose, c’est que c’est quelque chose de grave.
Donc, on leur rappelle bien que ce n’est pas un jeu, et là encore, on leur rappelle aussi l’importance de nous donner leurs noms et leurs prénoms, ce qui fait qu’on a très, très, très très très très peu de mots qui sont anonymes dans nos boîtes aux lettres Papillons.
– Une question importante aussi que se posent certainement les gens qui nous écoutent en ce moment, comment garantis-tu que l’enfant qui glisse un mot dans la boîte aux lettres ne sera pas identifié ou mis en danger, notamment quand l’agresseur est dans l’entourage proche, ou même ça peut arriver dans l’enceinte de l’établissement scolaire par exemple ?
– Généralement, nous déjà, on essaye de bien regarder avec la municipalité qui récupère les mots. Donc, il n’y a pas de lien de subordination entre la personne qui récupère, qui récupère les mots et l’enfant. Donc c’est pas du tout quelqu’un de l’école qui récupère les mots. Pour ce qui est de la sensibilisation, oui ça peut être quelqu’un de l’école puisque là les enjeux ne sont pas les mêmes. Et après, selon la gravité, nous on ne passe pas par la case famille. C’est-à-dire que si ce que l’enfant nous écrit est grave avec un danger grave, alors on fait une information préoccupante qui part à la cellule de recueil des informations préoccupantes qui se trouve dans tous les départements. Et si en plus cette notion de gravité, elle est doublée d’une notion de danger immédiat, alors là on envoie immédiatement un signalement au procureur de la République. Donc forcément, les parents ne sont pas dans notre boucle à nous. Ils peuvent l’être quand on parle notamment de mots qui touchent au harcèlement scolaire, ils peuvent l’être après, justement parce que là, il est important qu’ils soient avisés de ce qui se passe pour leur enfant mais pour tous les mots pour lesquels les parents sont désignés. Les parents ne sont pas dans la boucle. l’Enfant écrit son mot tout à fait librement dans dans l’école ou le soir chez lui quand il rentre dans sa chambre, etc. Mais on a, voilà, les parents ne sont pas dans la boucle de ce mot, en fait.
Les violences faites aux enfants : une photographie des signalements
– L’association Les Papillons agit depuis l’année 2018. Son impact est déjà important puisque des dizaines de milliers de courriers ont déjà été écrits puis reçus. Alors qu’elle photographie de la situation en France obtiens-tu ? Si on peut dire, avec tous ces signalements, quels sont faits les plus rapportés ?
– Alors, cinquante pour cent des mots qu’on reçoit, un mot sur deux, touchent au harcèlement scolaire. C’est vraiment une problématique très, très, très importante que subissent les enfants. On en parle pas assez. On en parle malheureusement quand il y a un fait divers.
Mais le harcèlement scolaire est vraiment quelque chose de subi d’une façon très forte et très violente par les enfants. Et plus on s’approche de l’âge CM2, sixième, cinquième et plus on voit apparaître dans les mots qu’on reçoit des notions d’envie de mourir des enfants, parce qu’ils ont cette sensation que ça les lâchera jamais. Donc voilà, un mot sur deux, c’est le harcèlement scolaire. Environ vingt-cinq pour cent des mots qu’on reçoit, ce sont pour des situations de violence physique, et notamment des violences qui sont subies par les enfants suite à des punitions extrêmement dures qu’ils qu’ils subissent à la maison.
On a treize pour cent des mots qu’on reçoit, treize, quinze pour cent des mots qu’on reçoit, qui sont des mots qui nous parlent des violences sexuelles subies par les enfants. Et là, la plupart du temps, ces violences sexuelles, quand on n’est pas dans les violences sexistes, quand on est vraiment dans les violences sexuelles, elles sont la plupart du temps le fruit d’un membre de la famille ou d’un membre, des proches de la famille.
On a des violences sexistes, beaucoup de violences sexistes, des gestes déplacés, des mots déplacés. Alors là, là par contre, c’est, soit dans les écoles, soit dans les bus qui emmènent les enfants dans les écoles, des gestes déplacés, des mots, etc.
On a ensuite toute une suite de petits mots qui parlent plutôt de délaissement d’enfant, des enfants qui sont laissés tout seuls chez eux pendant que les parents font autre chose, des enfants qui sont apeurés. Justement parce qu’ils restent seuls chez eux et qu’ils ne savent pas où sont leurs parents.
On a des mots qui nous parlent aussi, pour un ou deux pour cent d’entre eux, de racisme que subissent aussi les enfants dans nos écoles. Donc vraiment, voilà, on a tout un panel de ce qu’on entend tout le temps un peu partout dans les médias.
Nous, on le voit vraiment tous les jours avec cette grande prédominance pour des mots qui nous signalent le harcèlement scolaire.
L’efficacité du dispositif : l’affaire Lily
– Il y a une affaire emblématique qui illustre l’efficacité de ton dispositif l’affaire Lily.
En juin 2022, une petite fille de dix ans glisse un mot dans une boîte Papillons, révélant les violences sexuelles de son grand-père. Alors, c’était le point de départ d’un parcours judiciaire qui aboutissait, deux ans plus tard, à une condamnation du grand-père pour des viols incestueux et agressions sexuelle commises sur trois de ces petites filles. Il a donc été condamné à douze ans de réclusion criminelle. Je lisais en préparant notre conversation que tu dis que « ça montre que quand les adultes ne viennent pas travestir la parole des enfants, les choses peuvent aller très vite ».
Que veux-tu dire par travestir la parole ?
– Parce que sans le faire exprès, parfois, lorsque les enfants nous répètent, qu’ils nous disent quelque chose, nous, on va prendre cette parole de l’enfant et puis on va la mettre à la sauce d’un adulte. En faisant perdre toute la force de ce que l’enfant va nous avoir dit. On va. Quand je dis, on va travestir, c’est qu’on va traduire entre guillemets ce que l’enfant va nous dire dans un langage qui est un peu audible pour pour les adultes.
Typiquement Lily, qu’est-ce qu’elle écrit, Lily, quand elle pose son mot dans notre boîte aux lettres. Papillon. Elle nous met un prénom et elle nous dit que cette personne « met sa partie du bas à lui dans sa partie du bas à elle ». Ben, quand on envoie ce mot-là au procureur de la République, quand il reçoit ce mot-là avec avec cette écriture maladroite, malhabile. Et à côté de ça, toute la force de ce que ce mot veut dire.
Ben, il n’y a pas de mystère.
On est vendredi quand le procureur reçoit ce mot. Le lundi, les services de gendarmerie sont saisis. Le mercredi, le grand-père est interpellé et deux jours après, il rentre en détention provisoire. Il va y rester pendant deux ans.
A l’issue de ces deux ans, il est condamné à douze ans de réclusion criminelle. Il n’y a pas d’adulte qui, effectivement, est venu travestir la parole de Lydie. Parce que nous, si on avait répété ce que Lily a dit, on l’aurait mis à notre sauce et ça aurait perdu toute sa force et ça n’aurait pas eu le même sens.
Et là, vraiment, c’est ça que je veux dire, c’est que quand il n’y a pas d’intermédiaire entre la parole de l’enfant et la justice, ou en tout cas les services qui derrière doivent agir, et bien les choses se passent et elles se passent vite et elles se passent bien.
L’accompagnement des victimes : La Maison Papillons
– L’Association Les Papillons entend se porter systématiquement partie civile lorsqu’un signalement débouche sur un procès. Pourquoi avoir fait ce choix d’aller jusqu’au bout du processus judiciaire ? Comment ça se concrétise ?
– On a fait ce choix pour aider, pour accompagner les parents, pour accompagner les victimes parce que c’est un processus judiciaire.
C’est quelque chose de très dur, de très compliqué. Et nous, on a fait ce choix pour pouvoir justement leur montrer que même face à cette justice, on est présents à leurs côtés. Mais on a fait ce choix que dans la mesure où soit un mot est déposé dans une de nos boîtes aux lettres papillons et donne un procès derrière, soit par les accompagnements, soit psychologiques, soit juridiques qu’on fait au sein de l’association.
Eh bien quelqu’un par ce biais-là nous demande de.
Parce qu’on a trop d’associations qui, sans avoir rien fait dans le dossier en question, bien viennent se constituer partie civile, prennent, empochent leurs dix mille euros de dommages et intérêts et passent à une autre affaire. Et nous, c’est pas notre volonté. Notre volonté, c’est d’être aux côtés des victimes, mais des victimes qui ont eu besoin de l’association Les papillons, pour pouvoir libérer leur parole ou pour pouvoir justement avancer. Et donc voilà, c’est pour ça qu’on a fait ce choix d’accompagner les victimes.
C’est vraiment toujours dans cette notion d’accompagnement, de ne pas laisser les victimes seules. Parce qu’une parole libérée, c’est bien, mais si elle n’est pas correctement accompagnée, ça ne sert pas à grand-chose. Même face à la justice.
– Les Papillons agissent nationalement avec leurs boîtes aux lettres. Et tu as aussi développé un lieu d’accueil physique. C’est La Maison Papillons.
Elle a ouvert ses portes un petit peu après la rentrée scolaire 2024, au mois d’octobre. Elle est située à Saint-Estève. C’est près de Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales. C’est un cocon, si je peux dire. Un cocon dans lequel la parole peut se libérer.
C’est aussi un accompagnement à la reconstruction avec l’intervention de professionnels ?
– Oui, et on a voulu que ce cocon, il soit à la fois pour les personnes qui sont dans le département, mais via les téléconsultations et via.
Même quand on fait des groupes de parole, les visioconférences, on a voulu que ce cocon, il puisse bénéficier à tout le monde, finalement, sur tout le territoire, parce que c’est là où est notre action.
Et effectivement, on met en place dans cette maison papillons à la fois un accompagnement psychologique des enfants qui ont été victimes, mais aussi des parents, puisque c’est compliqué quand on a soi-même, qu’on est parent, qu’on a soi-même un genou à terre.
C’est compliqué de pouvoir aider ses enfants quand on est à terre soi-même. Donc le but aussi avec ces accompagnements psychologiques, c’est d’aider les parents à se remettre debout. Donc ça, on le fait à la fois en présentiel à la Maison Papillons et en téléconsultation, puisque nos docteurs, nos psychologues, pardon, sont inscrites sur Doctolib.
On met l’association Les Papillons et on peut trouver nos psychologues pour un accompagnement partout en France.
On a un accompagnement thérapeutique qui, là, pour la grande partie, se fait en présentiel, mais peut se faire aussi en distance avec une thérapeute qui travaille en collaboration avec les psychologues.
Donc ces accompagnements thérapeutiques, de pouvoir débloquer certaines situations, soit par l’EMDR, soit par l’hypnothérapie. On essaye de mettre en place ces thérapies pour qu’elles ne soient pas trop lourdes pour les enfants et pour qu’ils puissent aussi avoir accès à ces thérapies. Dans ces maisons papillons, on a donc des groupes de paroles tous les lundis. Alors là, ils se font à la fois en présentiel mais aussi en distanciel, en groupe de parole, à la fois pour les adultes qui ont été victimes dans leur enfance, mais on a aussi un groupe de parole qui se met en place pour les accompagnants, pour les groupes de parole, pour les victimes. C’est un accompagnement sur le temps long puisque nos groupes de parole sont animés par nos psychologues, deux psychologues, et c’est sur sept séances. Et puis on a un accompagnement aussi juridique.
Une fois par semaine, on a notre cabinet d’avocats qui, en visioconférence, prodigue pendant une heure gratuitement des conseils aux familles qui en ont besoin, soit soit parce qu’elles hésitent à déposer plainte, soit parce qu’elles ne savent pas comment faire, soit parce qu’elles ont besoin d’une réponse particulière.
La mobilisation de la société et des pouvoirs publics
– Je dézoome un peu pour les quelques minutes qui nous restent pour parler de la mobilisation de la société dans son ensemble, dans ce sujet de la lutte contre les violences faites aux enfants.
Le thème du harcèlement scolaire semble quand même un peu mieux pris en compte ces dernières années dans les politiques publiques, même s’il y a beaucoup de travail à faire. Tu le disais. Les violences physiques et sexuelles sont régulièrement évoquées dans le débat public. Et sur ce point, tu le disais, je rappelle que tu as été membre de la CIIVISE, de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.
Quel regard tu portes justement sur la mobilisation de la société et des autorités publiques ? Est-ce que tu dirais que ça bouge un peu quand même ?
– Non, malheureusement, je dirais que ça bouge pas.
Alors, je dirais que parfois, il y a des volontés et contrairement à ce qu’on peut penser, il y a des volontés non pas dans la société, mais il y a des volontés au niveau des autorités puisque là même actuellement, l’association par ma voix participe à un groupe de travail avec le ministère de la Justice sur l’accompagnement des victimes de violences sexuelles. Donc, on note quand même des volontés.
On a noté depuis deux ou trois ans des volontés au niveau de la lutte contre le harcèlement scolaire. En revanche, je ne sais pas si la société nous est vraiment prête à à écouter et à croire, à entendre, les victimes quand elles parlent.
On le voit trop souvent, malheureusement, quand une victime libère sa parole contre une personnalité qui est un peu connue, les soupçons s’orientent pas immédiatement vers la personnalité et les soupçons s’orientent tout de suite, d’abord vers celle qui libère sa parole. Et pourquoi elle l’a pas fait plus tôt ? Et qu’est-ce qu’elle cherche ? Et est-ce qu’elle a une actualité ? Et elle veut revenir sur le devant de la scène ? Et elle a pas été prise pour le casting, c’est pour ça qu’elle dit ça.
Donc, je crois qu’il y a beaucoup, beaucoup de travail. La société doit vraiment, un jour ou l’autre, décider de faire face aux violences qui sont faites aux enfants. Et tant que la société n’acceptera pas de faire ça, il n’y aura pas grand-chose qui bougera. On aura beau essayer de mettre en place toutes les politiques publiques, comme on le disait tout à l’heure, cette phrase que mon épouse m’a dit est tellement importante « Je te crois ».
Et je crois que les victimes, c’est ce qu’elles ont envie d’entendre. Elles n’ont pas envie d’être jugées parce qu’elles libèrent leur parole, elles ont juste envie d’entendre des personnes qui leur disent « bah écoute, ok, je te crois et puis on verra bien ce qui va se passer comme ce que ça va donner ».
Le président Emmanuel Macron n’a pas du tout mesuré mesurer l’importance de la phrase qu’il a eu quand il a créé la CIIVISE. C’était quand même un moment fort pour pour les victimes de violences sexuelles, la création de la CIIVISE.
Un président de la République qui intervient, qui parle et qui dit cette phrase : « On vous croit ». C’est dommage qu’il n’y ait pas eu la suite. C’est dommage que les préconisations de la CIIVISE soient pour l’instant toujours restées lettre morte. C’est dommage que la société n’ait pas suivi ce mouvement qui a été initié aussi. Donc je pense qu’il y a encore beaucoup à faire. Mais je crois que le problème, c’est que c’est une question de volonté personnelle, une question de, voilà, est-ce que est-ce qu’on est toutes et tous prêts à écouter et faire face à cette violence parce qu’elle est aussi symptomatique de notre société ?
– Faire face à écouter, voir la vérité en face et tendre la main comme c’est le cas avec ton association.
Permettre à la parole de se libérer, c’est un premier pas.
Aider l’association.
Certaines personnes qui nous écoutent pourraient avoir envie justement d’aider l’association Les papillons.
Que peuvent-elles faire concrètement ?
Comment peuvent elles vous soutenir, tout simplement ?
– Il y a plein de façons : en venant sur le site de l’association trois W Point Association Les Papillons point org. Elles peuvent choisir de devenir référentes, bénévoles de l’association, c’est-à-dire porter notre projet auprès des élus de leur municipalité pour que les élus puissent s’en emparer et qu’on puisse travailler avec le siège.
Elles peuvent décider aussi de faire un don à l’association. Elles peuvent décider de parler de nous. Enfin voilà, il y a plein de. Il y a plein de façons dont on peut aider l’association en venant sur le site.
Et vraiment, mais je pense que la meilleure façon d’aider l’association, c’est d’une façon plus large, c’est d’aider les enfants, c’est de faire un jour que finalement on n’ait plus besoin de l’association Les Papillons, parce que d’autres choses seront mises en place ou parce qu’on avancera d’une façon différente.
Ça aussi, je ne devrais pas le dire en tant que président de l’association, mais bon, moi, moi mon but, c’est qu’un jour, je puisse dire bon bah, on arrête, on ferme, on a plus besoin de nous parce que les services, parce que voilà, c’est devenu maintenant une mission de service public, Les boîtes aux lettres Papillons et que d’autres le font pour nous, et bien.
– D’ailleurs, l’Éducation nationale, c’est entre les lignes, je pense, pourrait aider un peu plus. Si je comprends bien, car tu passes par les municipalités et ce n’est pas un partenariat direct avec l’Éducation nationale.
– Alors, on passera quoi qu’il en soit toujours en partenariat avec les municipalités, puisque les écoles appartiennent aux municipalités.
Mais il est vrai que nous, on a besoin et on est en train de finaliser. On espère avoir dans dans les heures, dans les jours qui viennent, de bonnes nouvelles, mais on est en train de finaliser un travail avec avec la Direction générale de l’enseignement scolaire qui potentiellement doit nous amener à une convention signée avec l’Éducation nationale pour qu’on puisse, grâce à cette convention, faire nos sensibilisations pendant le temps scolaire.
Et puis, grâce à cette convention, saisir directement les référents pHARe pour tout ce qui est de lutte contre le harcèlement scolaire, c’est-à-dire les infirmières scolaires ou les psychologues scolaires. Et lorsqu’il y a une situation qui leur permettrait.
Puisqu’on sait qu’une infirmière scolaire, elle a huit, dix, douze écoles à gérer, au moins avec notre dispositif, elle saurait qu’elle doit aller dans telle école parce qu’il y a une situation. Donc voilà, on est en train de finaliser un travail avec l’Éducation nationale et on espère que ça va pouvoir porter ses fruits rapidement.
– On va suivre ça avec intérêt, Les Papillons qui se déploient.
Alors, j’indique aussi aux auditeurs des lignes téléphoniques nationales, le numéro national d’information pour l’enfance en danger, tu le disais tout à l’heure, c’est le 119. Il reste disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept en France. Mais encore faut-il, quand on est un enfant, avoir accès au téléphone… C’est gratuit et confidentiel. Et le 30 18, c’est le numéro gratuit mis en place par l’État pour aider les jeunes victimes de harcèlement et notamment sur les réseaux sociaux. Et évidemment, donc actuellement, dans 600 établissements, ces boîtes aux lettres à Papillons, ces boîtes Papillons.
Laurent Boyet, président de l’association Les papillons étaient dans Soluble(s). Je mets tous les liens utiles dans la description de cet épisode. On peut aussi donc suivre l’association sur les réseaux sociaux !?
– Oui, on trouvera sur Facebook, sur Instagram, on me trouvera moi sur Instagram et sur Facebook et l’association avec ses propres comptes. Donc oui, on nous suit et sur LinkedIn aussi, On dévoile toute notre actualité, nos coups de gueule.
Moi, je fais en sorte que tous les deux jours de poster quelque chose pour tenir informé et de réagir aussi parfois à cette actualité qui est souvent trop lourde et qui met trop souvent en avant le fait que malheureusement, partout où il y a des enfants, il y aura toujours des ogres pour leur faire du mal.
Donc on peut nous suivre sur les réseaux. Oui
– Laurent, merci, merci d’être passé dans Soluble(s) !
– Merci beaucoup. Merci beaucoup.
– Voilà, c’est la fin de cet épisode. Si vous l’avez aimé, notez-le, partagez-le et parlez-en autour de vous. Vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site internet, csoluble.media.
À bientôt !
POUR ALLER PLUS LOIN
- Voir le site Internet de l’association Les Papillons
- Suivre l’association sur Instagram
Numéros à connaître (France) :
– Le numéro d’appel 119 pour les enfants et ados en danger : ouvert 24 h sur 24, 7 jours sur 7 pour les enfants, adolescents et jeunes majeurs (moins de 21 ans) victimes de violences psychologiques, physiques, sexuelles ou en situation de danger.
Ce numéro s’adresse également aux proches susceptibles de signaler une violence commise sur un enfant.
ET www.allo119.gouv.fr
– Le 30 18 est le numéro national contre toutes les formes de harcèlement, y compris cyberharcèlement, concernant les jeunes, enfants et adolescents.
Gratuit, anonyme et confidentiel, il est ouvert aux élèves, parents et professionnels 7 jours sur 7, de 9 heures à 23 heures, pour tout renseignement ou signalement.
et par chat sur e-enfance.org/besoin-daide/
En cas de danger grave ou imminent
– Police secours : 17 ou 112
– Pompiers : 18 ou 112
– SAMU (urgence médicale) : 15 ou le 114 par sms pour les personnes sourdes et malentendantes.
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Et aussi le site de la CIIVISE, La Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants : ciivise.fr
Lire le livre de Laurent Boyet
Tous les frères font comme ça… (Hugo Doc)
TIMECODES
00:00 Introduction
01:45 Le parcours personnel de Laurent Boyet
02:42 L’importance de l’écrit pour libérer la parole
05:18 La notion de « je te crois » et le crédit accordé à la parole des enfants
06:55 Le fonctionnement du dispositif des boîtes aux lettres Papillons
13:50 L’impact des boîtes aux lettres et la prévalence du harcèlement scolaire
16:09 L’affaire Lily, un cas emblématique de l’efficacité du dispositif
19:45 Le rôle de la Maison Papillon dans l’accompagnement des victimes
22:14 La mobilisation de la société et des autorités publiques
25:14 Comment soutenir l’association Les Papillons
27:34 Merci à Laurent Boyet !
29:18 Fin.
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