La crise climatique est un défi planétaire, mais comment mobiliser concrètement chaque citoyen ? Dans cet épisode de Soluble(s), Sylvaine Dhion, ingénieure en énergie et porte-parole de l’association Les Shifters, nous éclaire sur l’action de ce collectif de bénévoles qui œuvre pour une France neutre en émissions de gaz à effet de serre. Née en 2014, l’association Les Shifters rassemble aujourd’hui plus de 30 000 bénévoles et agit dans le sillage du Shift Project, un think tank présidé par Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergie-climat.
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– Simon Icard : Bienvenue dans un nouvel épisode de Soluble(s). Aujourd’hui, je me demande comment mieux mobiliser les citoyens face à l’urgence climatique et parvenir à un monde neutre en émissions de gaz à effet de serre. Je m’intéresse à la démarche d’une association française qui a déjà mis en mouvement 30 000 bénévoles et récolté avec son association sœur plus de 4 millions d’euros en un mois. Avec le Shift Project. Objectif changer de direction pour réussir à se passer définitivement des énergies fossiles responsables du réchauffement global en cours sur notre planète.
Bonjour Sylvaine Dhion.
– Sylvaine Dhion : Bonjour Simon.
– Tu es une ingénieure dans l’énergie, spécialiste du nucléaire et du solaire et je te reçois en tant que porte-parole de l’association Les Shifters. C’est un collectif de bénévoles qui agit dans le sillage du Shift Project qui lui est présidé par un autre ingénieur spécialiste des sujets énergie-climat, Jean-Marc Jancovici. Alors Sylvaine, on va voir ensemble pourquoi et comment vous avez décidé de faire changer de trajectoire à la France, la faire “shifter” ?
On va donc plonger en quelque sorte au cœur du réacteur qui provoque le changement climatique et tu nous diras pourquoi l’énergie que l’on produit et que l’on utilise est pour vous un levier central d’intérêt, de travail et donc d’action. On verra comment le mouvement des Shifters agit et auprès de qui pour accélérer cette fameuse transition. Car je le disais, il y a urgence si on veut réussir à contenir le réchauffement climatique.
Mais d’abord, on va en savoir un peu plus sur toi, sur ton parcours. Alors, parle-nous un peu de ton histoire et de ce qui t’a conduit à t’investir de cette manière dans la lutte contre le changement climatique.
– Bonjour à toutes et à tous. Alors effectivement, comme tu l’as dit Simon, je suis ingénieure de formation et je travaille dans le secteur de l’énergie et donc j’ai été amenée à me poser la question du dérèglement climatique et de cette question dont on entendait parler. Et en tant qu’ingénieure, moi, j’ai besoin de comprendre comment ça marche. Donc j’ai commencé à poser un peu des questions et on m’a parlé de cette association, Les Shifters, que j’ai rejointe en 2017 et ça m’a beaucoup plu parce que les Shifters, c’est une association qui est à la fois solide et fun ! En fait, on est, on a un bon esprit, très convivial et c’est aussi très agréable. Et puis c’est un bon remède à l’éco-anxiété d’œuvrer avec les Shifters.
Comprendre l’urgence climatique et le rôle crucial de l’énergie
– Alors, on va parler en détail des solutions mises en avant par les Shifters de votre action. Mais pour bien comprendre la suite de notre conversation, peux-tu nous dire simplement pourquoi l’énergie est le sujet central de votre travail ?
– Alors évidemment, on a tous entendu parler du dérèglement climatique. On sait aujourd’hui que c’est un problème avéré et c’est avéré que ce problème, il est d’origine humaine et qu’il est dû aux gaz à effet de serre qui sont émis dans l’atmosphère par les activités humaines.
Et ces gaz à effet de serre causent une augmentation de la température globale du globe. Alors quand on entend comme ça que ça augmente de quelques degrés, on a l’impression que c’est pas très grave, parce que quelques degrés, si on compare ça à la météo, on a l’impression que ce sera juste enlever un pull et puis ça ira. Mais en fait, il faut bien avoir en tête que, en moyenne sur le globe, quelques degrés, c’est très très important.
Par exemple, il y a un chiffre qu’on aime bien utiliser chez les Shifters, c’est l’écart avec la dernière ère glaciaire. L’écart entre la température moyenne à l’époque de la dernière ère glaciaire où toute l’Europe était recouverte de glace et maintenant c’est quatre degrés, donc c’est vraiment très peu. Et quatre degrés, ça nous sépare d’une ère glaciaire du climat qu’on a aujourd’hui. Donc si on fait encore plus quatre degrés. On ne sait pas du tout qu’est-ce qu’on aura comme climat ?
On s’adapte pas aujourd’hui à quatre degrés. C’est-à-dire que les plantes, par exemple, elles ne savent pas s’adapter à + quatre degrés, les cultures ne survivent pas. Donc c’est pour ça qu’on a besoin d’atténuer ce dérèglement climatique.
Il faut se rappeler que, en 2022, par exemple, la sécheresse qui est en partie en grande partie due au dérèglement climatique, elle a causé deux milliards de pertes dans le domaine agricole. Donc, on voit qu’on ne fait pas ça pour s’amuser. Il y a vraiment des conséquences et ça va nous coûter très très cher si on ne s’adapte pas. Deuxième problème, c’est l’indépendance énergétique.
On a aujourd’hui une société qui est extrêmement dépendante aux énergies fossiles, qui sont quasiment totalement importées. Typiquement, dans les transports, aujourd’hui, on est complètement dépendants du pétrole. Or, aujourd’hui, on voit qu’il y a des tensions géopolitiques dans certaines régions, typiquement au Moyen-Orient. Aujourd’hui, si on a une fermeture du détroit d’Ormuz, le détroit d’Ormuz, je rappelle, c’est un détroit qui est au nord de l’Arabie Saoudite, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Par ce détroit transitent 30 % du commerce mondial de pétrole. Donc si pour des raisons géopolitiques aujourd’hui, on a une fermeture, même temporaire, du détroit d’Ormuz, on va avoir des tensions sur l’approvisionnement de pétrole. Ce n’est pas juste que ce sera plus cher, c’est qu’il y aura, il n’y aura plus suffisamment de pétrole.
Donc, on voit bien que notre économie, elle, sera en partie paralysée. Donc c’est la double contrainte carbone comme on appelle ça qu’on souhaite réduire. Et donc pour faire ça, il faut qu’on baisse de 5 % par an notre consommation de pétrole et d’énergies fossiles. Ça correspond à peu près à ce qu’on a vécu pendant la période du Covid. Alors le Covid, on se rend compte que c’était très intense et ce n’était pas très marrant. Donc ce qu’on fait chez les Shifters, c’est essayer de trouver un plan pour qu’on y arrive et qu’en même temps ce soit bien plus marrant que ce qu’on a vécu pendant le Covid.
– Oui, parce que baisser les émissions de gaz à effet de serre est donc crucial. Alors les États se sont engagés dans cette démarche et on ne peut pas dire que rien n’est fait. D’ailleurs, des chiffres chaque année sont là pour le mesurer. La France a connu une assez forte baisse de ses émissions de gaz à effet de serre ces dernières années, mais le rythme a diminué en 2024. Donc, c’est-à-dire, c’est “une baisse de la baisse”, si on peut dire, Deux chiffres, entre 2022 et 2023, les émissions de gaz à effet de serre de la France avaient réduit de 6,8 %. Mais entre 2023 et l’année suivante seulement de 1,8 %. Tu évoquais un rythme attendu de 5 % de baisse par an. Comment tu juges la trajectoire actuelle de la France en la matière ?
– Effectivement, notre… La trajectoire des émissions de la France, elle baisse. Mais par rapport à ces 5 % par an qu’il faudrait faire, c’est encore nettement insuffisant. Par ailleurs, on sait que les émissions seules ne suffisent pas. Donc les émissions, c’est les gaz à effet de serre qui sont émis sur le territoire français. Et il faut regarder aussi l’empreinte carbone. L’empreinte carbone, c’est les émissions qui sont émises pour la France à l’étranger. Par exemple, quand j’achète un produit en Chine, ça compte dans les émissions de la Chine, mais c’est quand même l’empreinte de la France. Donc il faut réussir aussi à faire baisser l’empreinte globale. Donc toutes les émissions importées quelque part qui sont émises par la Chine et par tous les autres pays desquels on importe.
L’empreinte carbone en France : analyse et principaux leviers d’action
– Restons un peu sur ce point. C’est vrai qu’on entend beaucoup parler d’empreinte carbone individuelle ou collective. Comment les experts la mesure t elle réellement cette empreinte ? Quels sont, selon toi et selon les résultats des calculs, les principaux postes d’émissions de gaz à effet de serre à surveiller, notamment pour notre public français et francophone ?
– Alors, à titre individuel, les émissions les plus importantes, c’est la viande, la voiture et l’avion. Alors, la viande? Pas n’importe quelle viande. En fait, ce qui émet, c’est la viande de ruminants. Donc bœuf mouton. Pourquoi ? Parce que les ruminants, par définition, ils ruminent. Et donc il rote et rote du méthane.
Et le méthane est un gaz à effet de serre très très puissant. Et donc il est important de réduire sa consommation de viande de ruminants. Alors soit en la remplaçant par un animal qui n’est pas ruminant; du porc, du poulet, ça émet beaucoup moins ou encore mieux en la remplaçant par des légumineuses ou des œufs, etc.
Alors, il n’est pas question de devenir végétarien, mais réduire sa consommation de viande de ruminants, ça a un impact très important sur le français moyen. La deuxième chose, c’est la voiture. Et on sait qu’un poste important, c’est surtout les émissions des trajets quotidiens quand on prend sa voiture pour aller au travail, je parle de voiture thermique puisque les voitures électriques, l’énergie décarbonée en France en très grande partie. Mais les voitures thermiques, elles consomment des énergies fossiles, elles émettent du CO2 par la combustion qu’il y a dans le moteur, tout simplement. Donc ça c’est un poste très important. Donc, nous, on préconise de réduire les émissions de la voiture parce que ça a un impact très important.
Et puis le dernier, c’est l’avion. L’avion, même chose que la voiture, la combustion qui est générée pour faire voler l’avion, elle est une source très importante d’émissions. Maintenant, c’est vrai que quand on est un individu, on a cette marge de manœuvre de réduire sa consommation de viande, de voitures et d’avions principalement. Mais on a une marge de manœuvre qui, même si elle est loin d’être négligeable, elle reste limitée. Et c’est ça qui est intéressant quand on rejoint une organisation comme les Shifters, c’est que finalement, on a un impact qui est plus global que l’impact qu’on peut avoir en tant que seul individu. Alors avec Les Shifters, par exemple, on a une force de frappe qui est beaucoup plus importante.
L’idée, c’est de transformer la société pour que cette transition soit facile aujourd’hui. Aujourd’hui, on ne peut pas demander à tout le monde d’être un héros et on ne peut pas demander à chaque individu de faire lui-même les investissements nécessaires. Certains ne peuvent pas. Certains ont besoin d’aide et donc il faut qu’on propose aux personnes des portes de sortie. Aujourd’hui, les Français, malgré ce qu’on peut entendre dans certains médias, aujourd’hui, ils sont très majoritairement pour la transition. Donc à 80 90 %, les gens, ils ont envie d’agir puisqu’ils ont bien compris le problème. Par contre, ils ont besoin qu’on les aide. Ils ont besoin de portes de sortie.
C’est-à-dire qu’on ne peut pas dire aux gens : on va taxer l’essence et puis débrouillez-vous. Parce que là, on a des gilets jaunes qui nous disent ben oui, mais moi, je peux pas boucler mes fins de mois, donc je peux pas m’acheter une voiture électrique. Et ils ont raison. Donc, nous ce qu’on dit c’est qu’on a besoin que la société mette en place des mécanismes pour que ce soit facile de transitionner vers des énergies décarbonées, soit parce que j’ai un train de banlieue, soit parce qu’on va me payer une voiture électrique. Et puis à ce moment-là, ce sera facile de faire la transition.
– Et puis on n’a pas le temps de détailler. Mais il y a aussi, j’ai noté aussi dans l’empreinte individuelle, même le poste de l’habitat avec le chauffage dans certains cas, un chauffage issu des énergies fossiles ou les émissions du bâtiment au sens large. Un chiffre pour comprendre où on en est et où on doit arriver. Si j’ai moi-même bien compris, cette empreinte carbone est de dix tonnes en moyenne pour un français. Et l’objectif pour arriver à contenir le réchauffement climatique autour des plus deux degrés, c’est d’être sur deux tonnes d’émissions par personne (par an). C’est ça ?
– Exactement. Voilà, Aujourd’hui, l’empreinte carbone du français moyen, c’est dix tonnes, dix tonnes de CO2 équivalent CO2. Donc par exemple, on compte les émissions du méthane et on les convertit comme si c’était du CO2. Donc dix tonnes émises dans l’atmosphère chaque année de CO2. Et il faudrait qu’on arrive à descendre à deux tonnes. Donc il faudrait qu’on arrive à descendre à deux tonnes, en moyenne, c’est vraiment très important comme baisse au niveau de toute la société et sans compter là-dedans les émissions individuelles. Donc de toutes les consommations du chauffage comme tu l’as dit. Donc, il faut réduire son chauffage en termes d’émissions. Donc c’est-à-dire isoler sa maison et avoir un système de chauffage qui soit décarboné. Donc si on a une chaudière à fioul ou à gaz, il faut qu’on soit aidé pour la changer, pour avoir soit un réseau de chaleur urbain, soit un système de chauffage décarboné typiquement électrique et qu’on arrive à deux tonnes. Sachant que dans les deux tonnes sont comptés une partie de services publics qui sont répartis entre français. Donc il faut aussi que les services publics se décarbonent et que les services publics soient moins émetteurs aussi. Et ça va jouer sur l’empreinte carbone globale de tous les Français..
Les Shifters : mobiliser 30 000 bénévoles pour la transition énergétique
– Alors pas de panique, vous entendez souvent, y compris dans cet épisode, dans cette émission, la notion de transition. Il y a donc une notion d’échéance et de moyen et de long terme. Cet objectif doit être atteint pour l’année 2050, mais c’est dès maintenant qu’il faut accélérer ça. Tous les scientifiques s’accordent à le dire. Il y a donc un besoin d’action. Et je voulais te recevoir pour parler justement des modes d’action des Shifters en eux-mêmes. Vous êtes des bénévoles. Comment se concrétise votre action dans le but d’accélérer justement?
– Alors côté Shifters, notre force de frappe, c’est qu’on est très nombreux. Donc comme tu l’as dit au début, il y a, on a à peu près 30 000 sympathisants aujourd’hui, depuis les dix ans que l’association existe, qui sont répartis dans une trentaine de groupes locaux sur tout le territoire français, y compris dans les Outre-Mer et aussi à l’étranger, Il y a des groupes locaux un peu partout. Et puis on a des cercles thématiques qui travaillent sur une thématique en particulier.
Typiquement, on a une thématique santé, une thématique sport, une thématique culture, finances, énergie, bois, agriculture, enfin, plein de choses. Et donc, qu’est-ce qu’on fait ? On conçoit des solutions pour faire cette transition. Donc la transition, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que aujourd’hui, on a une économie qui est basée sur les énergies fossiles et on va essayer de faire en sorte qu’on ne soit plus du tout basés sur les fossiles. Donc, qu’on en n’utilise plus. Et donc les émissions de carbone associées, elles disparaissent. Donc par exemple, au début de l’année, on a émis un rapport sur l’agriculture. Et ce rapport, finalement, on a interrogé des agriculteurs. Donc, on a lancé une très grande enquête. Il y a 8 000 agriculteurs, un peu moins, 7 800 agriculteurs, qui ont répondu à cette enquête. Donc, c’est un très gros panel qui ont souhaité répondre. Et puis on a fait des entretiens qualitatifs. Donc, c’est-à-dire qu’on est, nous, Shifters, allé voir des agriculteurs pour leur dire : qu’est-ce que vous en pensez, qu’est-ce que vous êtes prêts à mettre en œuvre comme solution ? De quoi vous avez besoin pour la mettre en œuvre ? Et on a sorti un rapport qui a permis d’émettre des solutions qui seraient efficaces en termes de réduction des émissions fossiles dans l’agriculture et qui sont cohérentes avec ce que les agriculteurs peuvent faire, ont envie de faire.
Par exemple, ils nous ont dit que ce qui serait très utile et facile à faire pour eux, ce serait d’utiliser plus d’engrais organique. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les engrais qui sont utilisés dans l’agriculture principalement, c’est des engrais qui sont issus de la pétrochimie. Donc ce sont des énergies fossiles qu’on va transformer en engrais. Or, aujourd’hui, si on remplaçait ces engrais par des engrais organiques. Donc par exemple, les engrais organiques, c’est quoi? C’est les déjections animales. Donc aujourd’hui, en France, on a une assez mauvaise répartition de l’élevage par rapport aux grandes cultures céréalières par exemple. Donc si on arrivait à mieux répartir sur le territoire, ou mieux répartir où vont les déjections animales des élevages pour alimenter les grandes cultures, on arriverait à diminuer la partie d’engrais issus de la pétrochimie qui sont utilisés. Ou alors si on récupérait les déchets organiques des villes par exemple. Là, les villes sont en train de mettre en place des collectes de déchets organiques, donc toutes les épluchures de légumes et tout ça soit c’est composté, soit c’est méthanisé et c’est épandu après dans les cultures pour les fertiliser. Donc tout ça, ça nous permet à la fois de réduire les émissions et de réduire la dépendance de l’agriculture aux fossiles.
Donc il y a plein de solutions comme ça qui sont utilisables en agriculture, sachant que il faut aussi trouver des mécanismes de financement parce qu’on ne peut pas demander aux agriculteurs de faire ça tout seul. Et donc il faut qu’il y ait un mécanisme à l’échelle de la France pour qu’ils puissent faire ça.
Solutions concrètes et approche terrain des Shifters pour une société décarbonée
– C’est-à-dire que vous avez une approche à la fois experte et de terrain. Il y a une granularité locale, même dans votre, dans votre organisation. C’est important pour vous d’être au plus près des enjeux locaux alors que le problème est global ?
– C’est exactement ça. En fait, on ne veut pas être complètement décorrélés du terrain parce que déjà, on n’arriverait pas à trouver des solutions qui fonctionneraient correctement et qui seraient robustes. Et en plus, il faut qu’on embarque les personnes qui sont directement concernées.
Parce que si on arrive “boum boum tagada” en leur disant faites ci, faites ça, bien sûr, ça ne va pas fonctionner et puis on n’aura pas les bonnes solutions de toute façon. C’est pour ça qu’on travaille aussi beaucoup en ce moment avec les collectivités locales, typiquement avec les élus locaux. On travaille beaucoup à éviter l’écueil de la mal-adaptation. La mal-adaptation, c’est quoi? C’est une adaptation qui, en fait, renforce le problème à long terme.
Par exemple, dans les mois qui ont passé, il y a eu beaucoup d’inondations, mais beaucoup de villes qui ont été inondées. Bon, et bien les collectivités locales, elles, peuvent être tentées de construire des digues partout, par exemple. Or, si on construit des digues, Déjà, on va construire des digues en béton, donc on va avoir beaucoup d’émissions de gaz à effet de serre. Donc on va renforcer le problème à long terme, il y aura encore plus d’inondations. Au contraire, nous, ce qu’on dit, c’est qu’il est plutôt intéressant de reméandrer les rivières. Donc.
C’est-à-dire que, au lieu de mettre des rivières, des rivières très canalisées avec du béton ou des palplanches et bien au contraire, on va les reméandrer, c’est-à-dire leur faire refaire des circulations comme ça qui serpentent. On va replanter de la ripisylve. La ripisylve, c’est la forêt des rives, des rivières. Donc tous ces arbres qui poussent autour des rivières, ça s’appelle la ripisylve et donc ça permet de stocker l’eau, de stocker du carbone. Et donc d’une part ça protège les villes contre les inondations et à long terme ça va capter du CO2 de l’atmosphère et du coup ça va atténuer le problème à long terme. Donc, on travaille beaucoup avec les collectivités locales justement pour trouver des solutions comme ça, qui sont pérennes à long terme.
– De la construction de connaissances, de la diffusion de ces connaissances et du dialogue sur le terrain. Alors, on pourrait imaginer que vous êtes toutes et tous des ingénieurs, mais ce n’est pas le cas , sii j’ai bien compris, même s’il y a une forte dimension opérationnelle dans, dans, chez Les Shifters.
– Alors en effet, on n’est pas tous des ingénieurs, on est de plus en plus divers et variés et on est très contents de ça parce que ça nous évite d’avoir des biais et on a des solutions qui sont de plus en plus robustes grâce à ça. Donc, on n’a pas que des ingénieurs, on a des médecins qui sont concernés par le dérèglement climatique, on a des agriculteurs, beaucoup, on a des sociologues, on a des ouvriers et on cherche à être le plus représentatif possible de la société française. Donc il ne faut surtout pas hésiter à rejoindre Les Shifters ! On n’est vraiment pas une association que d’ingénieurs et tout le monde est bienvenu largement.
Accélérer la transition : influence des Shifters dans le débat public et lutte contre le climatoscepticisme
– L’appel est lancé, à entendre. Alors entre actions individuelles, transformations collectives, voyons encore un peu plus en détail par où passe l’action des Shifters. Vous souhaitez peser de plus en plus dans le débat public, et spécialement pendant les deux années qui nous séparent de l’élection présidentielle qui aura lieu en France en 2027. Je le disais dans l’introduction, Les Shifters sont… Alors tu nous diras si c’est une émanation ou une, en tout cas de la même famille que le Shift Project, un think tank.
Et c’est ce Shift Project qui a lancé en mai 2025 une campagne de financement participatif. Une cagnotte a été mise en ligne. À la date de notre conversation, elle a déjà mobilisé 32 000 personnes et surtout récolté une somme record de 4 millions d’euros. Que révèle ce succès sur l’état d’esprit de la société française ou en tout cas des donateurs ?
Ils sont déjà 32 000, mais la somme est déjà annoncée comme étant la plus importante pour une collecte de fonds participative.
– Oui, en effet, on a eu un très grand succès de la campagne de financement qui s’est terminée et qui a atteint 4 millions d’euros. Une partie de cette somme sera reversée aux Shifters. Donc, ça va nous permettre d’organiser des événements. Typiquement, là, on a organisé début juin “l’UniverShiftée”, qui est l’Université d’été des Shifters, et c’est une conférence où qui dure sur deux jours, qui s’est passée à Montpellier, qui a réuni 2000 participants avec Serge Zaka et Thomas Pesquet. Et donc c’est une série de conférences sur le climat, la transition, comment transitionner avec des ateliers et puis un travail sur les imaginaires aussi, parce qu’on essaye de montrer qu’est-ce que serait une société décarbonée qui a fait sa transition.
Cette université, elle sera financée avec les fonds de cette campagne. Et puis on fait des festivals qui sont par exemple “Projection Transition”, un festival de cinéma où on essaye justement de travailler sur les imaginaires et inspirer la transition.
On a une plateforme qui s’appelle “Shift Your Job”Donc Shift Your job, c’est une plateforme qui montre toutes les entreprises qui travaillent dans la transition. Donc si vous cherchez un premier emploi ou si vous cherchez à vous reconvertir, allez voir Shift your job. Domaine par domaine, on vous dit quelles sont les entreprises dans lesquelles vous pouvez postuler en fonction de votre formation. Ou quelles formations, vous pouvez faire si ça vous intéresse.
Et puis cette, cette campagne de financement côté Shift (Project), elle va servir à faire un nouveau plan. Donc, de même que le “Plan de transformation de l’économie française” qui était déjà paru. Et donc, avec cette campagne, on va pouvoir interroger différents secteurs, c’est-à-dire qu’on va aller voir comment on est allé voir les agriculteurs, on va aller voir l’industrie, on va aller voir la santé et trouver un plan qui soit directement applicable à la société française pour la transition. Et puis ça va nous servir aussi à aller faire du lobbying auprès des décideurs, auprès des politiques, auprès du grand public, pour faire connaître toutes les mesures qu’on peut prendre et qui sont efficaces pour, pour la transition. Il y a notamment un débat qui avait été organisé pour les législatives 2023 en avril à Angers par Les Shifters. Donc là, on voudrait faire la même chose et pour les municipales et pour la présidentielle, pour pousser l’ensemble des partis politiques à inclure dans leur programme des mesures en faveur de la transition climatique.
– Oui, parce que donc vous êtes un acteur du débat public, un acteur politique sans être un partisans. C’est-à-dire que vous ne vous revendiquez pas -évidemment- d’une appartenance partisane, mais pour autant vous voulez peser sur le débat public. Donc il n’y a pas de gros mots sur ça, mais c’est donc une approche de lobbying, une approche d’influence. C’est à toi de choisir les mots, mais c’est ça que je ressens en t’écoutant. Est-ce que vous prenez des positions claires sur des sujets qui sont encore très débattus dans la société, même s’ils sont mis en place. Je pense à l’énergie nucléaire dans cette transition. Est-ce que, en tant qu’association, vous prenez une position pour le débat public ?
– Alors, on ne prend pas position en tant que.. élire un parti en particulier. Par contre, on va donner techniquement le résultat à atteindre et ensuite, on va laisser chacun des partis du spectre politique donner des solutions avec sa propre grille de lecture pour y arriver. Par exemple, tu parlais d’énergie, nous, on dit, il faut que l’énergie soit décarbonée. Ensuite, est-ce qu’on va faire plus de renouvelable ou plus de nucléaire ? Ça, c’est chaque parti qui va décider. Ou pour, par exemple, l’avion.
Tout à l’heure, on disait, on veut réduire le nombre d’avions. Nous, on dit, il faut absolument que le trafic aérien diminue. Maintenant, si je prends des exemples extrêmes, on peut avoir des partis qui vont dire bon, et bien, on va mettre des quotas et on aura droit à X vols par personne. Ou alors un autre parti va pouvoir dire et bien, je mets un ticket d’entrée à un prix extrêmement élevé et seulement les personnes très aisées pourront prendre l’avion. Le résultat, techniquement, en termes d’émissions, est le même. Par contre, en termes de société, ça n’a rien à voir. Donc après, évidemment, là, je prends des exemples extrêmes, mais il y a tout un panel de solutions. Donc, nous, on dit voilà le résultat où il faut arriver et après c’est aux partis politiques de proposer des mécanismes qui sont conformes à leur, à leur lecture politique de la société.
– Donc, placer au cœur du débat public, les enjeux du moment, les enjeux centraux ou même les enjeux du siècle, en l’occurrence pour le dérèglement climatique.
Alors quelques mots. Je voudrais voir avec toi comment Les Shifters intègrent la progression, relative, mais mesurée quand même dans certaines études d’opinion du climatoscepticisme en France, avec près de 29 % des Français qui, selon un baromètre de l’ADEME, considèrent que “les désordres climatiques et leurs conséquences sont finalement des phénomènes naturels comme il y en a toujours eu”. Ce qui donc est faux du point de vue du consensus scientifique. Mais ce qui me fait t’en parler, c’est cette progression dans ce baromètre. Car c’est sept points de plus qu’en 2023 et douze points de plus par rapport à 2020, tu perçois toi, sur le terrain cette défiance au minimum, ou ce climatoscepticisme, comme on dit ?
– Oui, alors on assiste à ce qu’on appelle un backlash écologiste en ce moment. C’est-à-dire que les discours qui nient le dérèglement climatique sont importants, notamment dans certains médias. Nous, on a, comme on s’est donnés comme mission justement, d’informer la société sur la base de faits scientifiques. Donc toutes les publications qu’on fait sont sourcées.
On donne les sources, on donne nos calculs, on fait des rapports qui sont le plus documenté possible. Et notre, notre ambition, c’est de faire comprendre ce problème technique à une majorité de personnes. Donc il est encore plus important, en ce moment, justement, de pouvoir communiquer là dessus.
Alors notre objectif, c’est déjà de nous former, nous en tant que Shifters et de former les Français. Et comme tu l’as dit dans la période actuelle, il est d’autant plus important de faire cette information et de participer au fait que tout le monde ait bien conscience des enjeux. Parce que aujourd’hui, les gens sont touchés par le dérèglement climatique.
Déjà, on voit bien qu’il y a des événements climatiques extrêmes. En ce moment, c’est la canicule et puis il y a des orages de grêle terribles. Bon bah, ça on voit bien que c’est lié avec l’augmentation de la température de l’atmosphère, On voit bien que le climat est perturbé et que plus il y a d’énergie dans l’atmosphère, plus il y aura des événements extrêmes. Donc c’est très important que les personnes fassent le lien et comprennent que ces événements climatiques extrêmes sont dus au dérèglement climatique, que ce dérèglement climatique est d’origine humaine et qu’il y a plein de solutions. En fait, la bonne nouvelle, c’est que c’est nous qui sommes responsables.
Alors paradoxalement, on pourrait avoir l’impression que c’est une mauvaise nouvelle. Mais en fait, si on avait une météorite qui arrivait sur la Terre, on pourrait rien faire. Mais là en fait, c’est nous qui sommes responsables, c’est nous qui avons les solutions. Les solutions, elles existent. Nous, on a vraiment envie que tout le monde ait envie de les mettre en œuvre. Et en fait, c’est bête, mais il suffit de les mettre en œuvre pour que ça marche.
– Les solutions existent et il reste du temps. Même si certaines études scientifiques montrent que le premier objectif de rester sous la barre des + un degré cinq semble être hors d’atteinte en termes de réchauffement climatique, il est toujours possible de rester sur les objectifs de l’Accord de Paris qui lui était à + deux degrés. Donc pour le contenir, il faut arriver à cette fameuse neutralité carbone en 2050.
Deux petits mots. Tu parlais tout à l’heure de mal-adaptation. Est-ce que le sujet de l’adaptation à ce changement inéluctable est aussi dans votre scope chez Les Shifters ?
– Alors oui, en fait, nous on s’occupe d’adaptation et d’atténuation. Atténuation, ça veut dire, on veut atténuer le dérèglement climatique, donc on veut baisser les émissions de gaz à effet de serre pour que le dérèglement climatique soit le moins important possible. Donc ça, c’est de l’atténuation. Et l’adaptation, c’est : on sait que on est déjà plus ou moins 1,5 degré aujourd’hui et ça risque d’augmenter encore un petit peu dans les prochaines années, les prochaines décennies.
Donc il faut de toute façon s’adapter, c’est-à-dire voir comment on va faire pour vivre dans un monde qui est déjà plus chaud. Donc ce qu’on essaye de faire, c’est de trouver des solutions qui fonctionnent pour les deux. C’est-à-dire faire d’une pierre deux coups. Par exemple, tout à l’heure, tu parlais des logements et du chauffage. Bon, ben, typiquement, quand on veut baisser les émissions de son logement, on commence par isoler son logement. Parce que si on change sa chaudière et qu’on n’a pas isolé, c’est quand même moins efficace. Donc la première chose à faire, c’est isoler son logement. Donc quand on isole son logement, d’une part, on dépense moins de chauffage, donc on réduit ses émissions et puis on fait des économies, c’est quand même plus sympa. Et en plus comme on est mieux isolé, ben finalement, on aura moins chaud en été aussi. Donc ça permet à la fois d’atténuer le dérèglement climatique et de nous adapter à des étés qui seront de plus en plus chauds et qui seront de plus en plus inconfortables. Et la mal-adaptation, ce serait en plus de prendre la clim et de se dire ah ben du coup comme c’est décarboné, je mets la clim et dépenser plus d’énergie. Des solutions existent, on retient le message.
– Alors le temps file à toute allure. Je me dis qu’il faudrait sur cette thématique un podcast dédié à 100 %. Mais ça tombe bien puisque pour cette transition énergétique vers le monde d’après-carbone, Le Shift Project avec qui tu travailles propose un podcast qui s’appelle “Time to Shift”. Donc, je vous renvoie à toutes et tous à l’écoute ou à la découverte de ce podcast. Sylvaine Dhion merci, donc porte parole de l’association Les Shifters était avec moi dans Soluble(s). On peut te retrouver ainsi que Les Shifters facilement sur les réseaux sociaux ?
– Sur les Shifters point org. Et si vous êtes une entreprise le Shift Project, rejoignez nous !
– L’appel est lancé. Sylvaine, merci d’être passée dans cette émission.
– Merci Simon.
– Voilà, c’est la fin de cet épisode. Si vous l’avez aimé Notez-le, Partagez-le et Parlez-en autour de vous, vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site internet : csolublemedia.
À bientôt !
POUR ALLER PLUS LOIN
- Le site Internet des Shifters
- Voir : “Décarbonons la France !”, la page Ulule de The Shift Project citée dans l’émission
TIMESCODES
00:00 Introduction, enjeux et accueil
02:01 Le parcours de Sylvaine Dhion
02:47 Pourquoi l’énergie est centrale ?
01:51 L’impact de quelques degrés
06:41 La trajectoire de la France
07:48 Empreinte carbone individuelle
13:19 “La force de frappe” des Shifters
16:19 L’approche des Shifters sur le terrain
19:31 Campagne de financement record
22:52 Positionnement politique des Shifters
25:53 Face au climatoscepticisme
28:30 Atténuation et adaptation
30:23 Merci à Sylvaine
Fin
Propos Réaccueillis par Simon Icard
CITATIONS
En direct de Sylvaine Dhion, porte-parole de l’association “Les Shifters”
– Sur son parcours
« J’ai commencé à poser un peu des questions et on m’a parlé de cette association, Les Shifters, que j’ai rejointe en 2017 et ça m’a beaucoup plu parce que les Shifters, c’est une association qui est à la fois solide et fun ! »
– Sur l’ampleur du réchauffement climatique
« L’écart entre la température moyenne à l’époque de la dernière ère glaciaire où toute l’Europe était recouverte de glace et maintenant c’est quatre degrés, donc c’est vraiment très peu. Et quatre degrés, ça nous sépare d’une ère glaciaire du climat qu’on a aujourd’hui. »
– Sur la nécessité d’agir face à l’indépendance énergétique
« Si pour des raisons géopolitiques aujourd’hui, on a une fermeture, même temporaire, du détroit d’Ormuz, on va avoir des tensions sur l’approvisionnement de pétrole. Ce n’est pas juste que ce sera plus cher, c’est qu’il y aura, il n’y aura plus suffisamment de pétrole. »
– Sur les efforts individuels face au problème global
« On a une marge de manœuvre qui, même si elle est loin d’être négligeable, elle reste limitée. »
– Sur le rôle des citoyens dans la transition
– « Les Français, malgré ce qu’on peut entendre dans certains médias, aujourd’hui, ils sont très majoritairement pour la transition. Donc à 80 90 %, les gens, ils ont envie d’agir puisqu’ils ont bien compris le problème. »
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Simon
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