[TRANSCRIPTION] Enfants et adolescents : les protéger des écrans. Oui, mais comment ?
Comme absorbés par les écrans. “Des parents qui n’y arrivent plus, qui me disent, il est là, mais j’ai perdu mon enfant, des enseignants alarmés par la baisse de la capacité des élèves à rester attentifs”, Sabine Duflo en rencontre chaque jour dans ses consultations de psychologie.
Des parents qui viennent la consulter avec leur enfant en raison de leur “difficulté à se concentrer, pour des troubles de l’attention, des troubles du sommeil ou encore des problèmes de comportements”.
Les écrans sont omniprésents dans notre vie quotidienne et il est de plus en plus difficile pour les parents de protéger leurs enfants des dangers qui y sont associés.
La télévision, les tablettes, les ordinateurs et les smartphones font désormais partie intégrante de notre environnement, et les enfants y sont exposés dès leur plus jeune âge.
56 minutes de temps d’écran par jour pour les moins de deux ans
Les enfants français passent en moyenne 3 heures et 40 minutes par jour devant un écran, les 1 à 6 ans passent seize heures par semaine devant les écrans, tous supports confondus, selon une étude Ipsos (2022).
Des temps d’écran qui différent selon l’âge, indique une étude conduite par Santé publique France en 2023 (voir infographie).
Pour Soluble(s), Sabine Duflo, psychologue clinicienne et thérapeute familiale, décrypte les dangers pour les enfants et les adolescents de l’accès de plus en plus précoce et de plus en plus prolongé aux écrans.
Transcription (automatisée)
Article original : Enfants et adolescents : les protéger des écrans. Oui, mais comment ?
Bienvenue dans un nouvel épisode de Soluble(s).
Aujourd’hui, je m’intéresse aux pistes de solutions pour protéger nos enfants des dangers que peuvent représenter pour eux les écrans.
La surexposition à ces écrans ou les écrans tout court.
On va voir ensemble tout cela.
Sabine Duflo, bonjour.
Bonjour, Simon.
Tu es une psychologue clinicienne et thérapeute familiale.
Tu travailles sur le terrain.
Tu interviens aussi dans des consultations en addiction à l’hôpital.
D’Aux Maisons, de Fleury-les-Aubrées, c’est près d’Orléans.
Tu as fondé le Collectif Surexposition Écrans.
On va parler ensemble de ce sujet.
On va voir surtout pourquoi c’est important.
Et surtout, comme on est dans un podcast de solutions, évoquer les pistes de réponse à adresser à ce problème.
Un problème pour les familles, pour la société.
Les réponses que tu appelles de tes vœux.
Tu es l’auteur du livre Il ne décroche pas des écrans.
Comment protéger nos enfants?
C’est aux éditions L’échappée.
Justement, on va en parler.
Mais d’abord, dans ce podcast, on veut toujours tout savoir du parcours de l’invité.
En quelques mots, est-ce que tu peux nous dire pourquoi et comment tu t’es consacrée à ce sujet?
Qu’est-ce que tu faisais avant?
Ça a commencé comment, cet intérêt?
Il y a très longtemps déjà, j’étais prof de philo, j’ai passé le CAPES de philosophie.
Mais j’ai toujours eu une attirance pour la psychologie et surtout l’approche familiale.
J’ai été formée à la thérapie familiale systémique.
C’est une approche qui considère qu’on peut comprendre un sujet enfant, adolescent ou adulte, que si on s’intéresse à son environnement.
Et on ne peut le changer que si on change son environnement.
Alors, la thérapie familiale systémique s’intéresse au système qui entoure l’enfant, c’est-à-dire sa famille, mais ça peut être aussi l’école, voilà.
Et aujourd’hui, l’environnement avec lequel l’enfant passe le plus de temps, c’est l’environnement numérique.
Ce sont les écrans, ces écrans, la télévision, la tablette quand il est petit, le téléphone portable qu’il acquiert à l’entrée au collège.
Et on a une moyenne à peu près de 6 heures pour les collégiens sur les écrans, tout écran confondu, de 7-8 heures pour les lycéens.
Donc, il est bien évident que je n’ai pas besoin d’avoir fait beaucoup d’études de psycho pour imaginer que ça a un impact important sur leur développement, puisqu’ils passent avec ces écrans plus de temps qu’avec leur famille, plus de temps qu’avec leurs copains, plus de temps qu’avec n’importe quel objet.
Plus de temps que jamais.
Donc, je disais, tu es une psychologue, tu viens de nous l’expliquer, tu dis le mot psycho, le mot problème, pour bien comprendre le problème justement, et aussi pour bien comprendre pourquoi j’invite une psychologue dans ce sujet.
Est-ce que tu peux nous décrire, par tes observations de terrain, mais aussi les observations scientifiques, de quoi parle-t-on quand on évoque un problème et des dangers pour les enfants liés à leur exposition aux écrans et à leur surexposition?
Ça se passe dans le cerveau?
Oui, le problème, il suffit juste d’être parent ou d’être tonton ou grand-frère pour l’avoir vu.
Quand on met un petit enfant devant un programme qui lui plaît, conçu pour lui, c’est-à-dire conçu pour le capter le plus longtemps possible, et qu’on appuie sur le bouton off, ça crée des cris, des hurlements.
Quand on a un ado qui est devant un jeu vidéo, les plus vendus, donc les plus addictifs conçus pour ça et qui commence à jouer, il a beaucoup de mal à s’arrêter.
Et quand on lui dit d’arrêter, qu’il finit par le faire en général, après, il est nerveux, il crie, parfois même, il insulte ses parents alors qu’il ne le faisait pas avant.
Voilà, tout ça, c’est des exemples qui montrent bien que dès lors qu’il y a exposition, il y a risque de surexposition puisque ces objets ont été conçus non pas par des entreprises vertueuses qui ont pour but d’éduquer et de rendre plus heureux nos enfants, mais par des entreprises dont l’objectif est d’engranger le maximum de bénéfices et donc de capter notre attention, de nous retenir captifs le plus longtemps possible.
Tout se joue sur ce mot d’être retenu captif.
Ça peut engendrer une addiction, mais aussi, comme tu le décrivais, des grandes complications à décrocher.
Tout simplement, comment jauge-t-on au-delà de cet écueil que tous les parents connaissent, en tout cas tous ceux qui permettent un accès aux écrans à leurs enfants, comment on jauge le temps d’écran qu’il n’est pas dangereux de laisser à ses enfants?
Oui, alors c’est un problème que tu soulèves, c’est un problème aussi scientifique.
Le collectif dont je suis la fondatrice est en réalité à l’origine de la création de ce terme, mais avant le nom l’a créé à l’époque, c’était un constat de terrain.
On se disait, mais ces enfants sont beaucoup trop de temps dessus.
Il n’y avait pas d’études scientifiques qui disent, et d’ailleurs, il n’y en a toujours pas, à partir de quel moment.
Enfin, on sait, par exemple, que le genre de jeux vidéo, les jeunes garçons, au-delà de deux heures, c’est problématique.
Voilà, mais il faudrait faire par âge, puisque tu sais que les besoins de sommeil varient suivant les âges et surtout les temps d’éveil.
Donc moi, j’ai un repère assez simple, c’est à partir du moment où ça prend plus de la moitié du temps d’éveil.
Il faut se poser la question, il y a danger.
Sachant que, si tu veux, on sait aujourd’hui que toutes nos principales compétences qu’on a à acquérir quand on est enfant puis adolescent, c’est-à-dire le langage, la communication, la capacité à réguler ses émotions, la capacité à se sociabiliser, à interagir dans un groupe, elles s’apprennent dans la fréquentation de nos pères au sein de la famille, puis après ça, des copains, des copines.
Et l’écran vient faire écran au développement de ses principales compétences.
Il y a plusieurs types d’écrans.
Il y a de très longues dates l’écran de télévision, les jeux vidéo dont tu parlais, mais il y a quand même un écran qui s’est multiplié entre les mains de tous les adultes, on peut dire, mais donc accessible aux enfants dès le plus jeune âge à portée de main.
Je veux parler évidemment du smartphone.
Est-ce que c’est avec cet outil du smartphone qu’on a le plus d’accélération de ce problème?
Oui, complètement.
Ces mécaniques, c’est-à-dire à partir du moment où ces outils sont devenus nomades, ça a commencé par les ordinateurs portables, les tablettes, les petites tablettes aussi transportables.
Et puis ensuite le téléphone, on a vu une explosion du temps passé devant et aussi une absence de contrôle, de possibilités de contrôle pour le parent du temps, mais du contenu.
Alors, tu alertes, depuis une dizaine d’années, ça coïncide aussi avec cette accélération évidemment, et ces changements sociaux, sociologiques et économiques, car il y a une irruption en effet de beaucoup d’outils et de plateformes, de réseaux sociaux aussi qui sont venus justement rentrer dans nos écrans.
Des réseaux sociaux qui sur le papier sont interdits aux mineurs de moins de 13 ans, mais on constate.
Mais qui dans la réalité, de toute façon, se retrouvent, on voit des enfants qui sont sur les réseaux de plus en plus tôt et ça correspond à l’âge d’acquisition du premier téléphone portable qui ne cesse de baisser.
Il est de 9 ans aujourd’hui et l’âge de l’accès, par exemple, à la pornographie, c’est 10 ans.
C’est normal.
Ça se fait presque immédiatement ou avec un délai de 6 mois.
J’entends que c’est normal.
Ça veut dire que c’est normal dans le sens d’une accessibilité sans limites.
Ça crée du coup, très précoce, qui crée du coup l’exposition à des contenus inadaptés comme la pornographie, l’ultraviolence, etc.
Alors, nous sommes, je le dis souvent, je l’écris, nous sommes dans un podcast qui est optimiste, mais qui n’est pas naïf.
Mais je ne vais pas faire avec toi un épisode d’éducation parentale.
Tout le monde sait plus ou moins quand même qu’il y a une distance à mettre en place entre les enfants et les écrans.
Mais je voulais justement avoir tes conseils sur le plan, j’allais dire, de tes observations de terrain d’abord.
Et puis on va voir dans un instant aussi comment la société et le droit peut ou doit s’adapter à cela.
Sur tes observations de terrain, je le disais dans l’introduction, je rencontre des parents, des enfants, des patients qui, comment se retrouvent-ils dans ton cabinet, à partir de quand viennent-ils consulter?
Et qu’est-ce que tu observes de manière générale?
Alors, ils ne viennent pas consulter spécialement pour des questions d’addiction aux écrans, sauf ceux qui consultent donc à cette situation spécialisée.
Mais la plupart sont pris dans ce grand bain d’écran pour comprendre l’origine de leurs mots.
Par exemple, une difficulté à se concentrer chez les enfants, la difficulté d’attention, de concentration, les troubles de l’attention, c’est presque 90% des motifs de consultation.
Des difficultés de sommeil aussi très importantes qui engendrent évidemment des problèmes ensuite scolaires, se concentrer, apprendre.
Des difficultés aussi de comportement.
Face à ces symptômes, j’interroge l’environnement.
De manière très simple et naturelle, je n’ai pas de protocole.
Chacun peut le faire.
Je demande à l’enfant devant son parent, raconte-moi une journée, depuis le moment où tu te réveilles jusqu’au moment où tu te couches.
Qu’est-ce que tu fais?
Par exemple, est-ce que le matin, tu te réveilles avec un téléphone portable?
Ou alors est-ce que c’est maman qui vient te réveiller avec la ..?
Et le matin, quand tu te réveilles, est-ce que la télé est allumée déjà?
Ou bien est-ce que non, il n’y a pas d’écran?
Et puis, est-ce que tu, le midi, tu rentres manger chez toi et là, la télé est allumée.
Quand tu rentres chez toi, où sont tes parents?
Qu’est-ce qu’ils font?
Est-ce qu’ils sont devant la télé, regarder une série?
Est-ce qu’ils sont sur le portable?
Et toi, c’est quoi la première chose que tu fais?
Et le soir, qu’est-ce que vous faites?
Est-ce qu’on mangeait devant la télé ou pas?
Et après le repas, il y a des choses qui se passent, voilà.
Avec toutes ces questions, j’ai une évaluation un petit peu, ces questions qui sont détaillées dans mon livre, des usages, des écrans de la place, des écrans dans la famille.
Et ça me permet d’avoir du coup une réponse adaptée.
Je fais du sur-mesure, voilà.
Et d’ailleurs, on t’entend parler de situations très concrètes de la vie quotidienne.
Tu me disais tout à l’heure qu’il faut tenir compte de la moitié du temps d’éveil d’un enfant.
Cela veut-il dire qu’il y a des moments précis autour desquels il faut absolument bannir l’écran, l’éteindre, le ranger?
Oui, tout à fait.
Moi, je suis à l’origine d’une prévention qui, au début, avait juste comme seule ambition d’aider les parents de ma consultation à se souvenir de ce que je leur avais dit.
Comme je répétais toujours la même chose, j’avais fini par le mettre sur un morceau de papier et puis un jour que la chargée de com est venue faire une visite au CMP, elle m’a dit, mais ça, c’est très intéressant.
Si vous voulez, on le met en image et c’est devenu ces fameux quatre pas.
Alors, ces quatre moments qui sont dans la famille où on va préserver des moments sans écran pour permettre des interactions de l’enfant.
Je demande aux parents de ne pas mettre d’écran pendant les repas qui sont pris ensemble, de ne pas mettre d’écran le matin parce que c’est à ce moment-là, ne pas allumer la télé le matin, à l’adolescent de ne pas ouvrir son portable, que ce ne soit pas la première chose qu’il fasse en se réveillant.
Les parents ne devaient pas être sur le portable dès le matin parce qu’on sait que l’attention et les capacités d’attention sont beaucoup plus importantes le matin et que simplement cinq minutes d’un petit dessin animé bien speed, ça les bousille et donc il faut éviter de mettre l’enfant dans la télé le matin et donc ça, c’est le deuxième pas.
Le troisième pas, c’est de pas mettre d’écran dans la chambre de l’enfant au moins jusqu’au collège parce qu’à ce moment-là le parent perd tout contrôle sur le temps qu’il y passe et les contenus et puis juste avant de se coucher pareil, on n’en met pas parce qu’on sait que la lumière bleue en fait empêche la sécrétion d’une neurohormone qui s’appelle la mélatonine et qui est nécessaire pour l’endormissement.
On voit dans les consultations aujourd’hui énormément d’enfants qui sont sous mélatonine.
Elle est même vendue maintenant dans les supermarchés.
C’est dire les problèmes de sommeil.
Il faut savoir qu’en 50 ans, on a perdu une heure trente de sommeil alors qu’on travaille moins globalement.
Donc il y a quand même un petit souci.
Alors les quatre pas au sens pas à ne pas faire, mais quatre pas aussi pour mieux avancer, pour mieux vivre.
Alors, ils ont été traduits dans plein de langues parce qu’ils ont beaucoup de succès, mais je ne sais pas si la traduction permet le jeu de mots, mais au départ, c’est quatre pas pour mieux avancer parce que de toute façon en matière d’enfance et d’adolescence, on grandit aussi avec des interdits.
On grandit avec des interdits.
On ne peut pas grandir autrement.
Un enfant n’a pas toutes ses compétences et ses capacités qui sont matures et donc il faut lui permettre qu’elles se développent bien.
Il faut nécessairement des interdits.
Alors, j’ai cette affiche sous les yeux.
Je vous la mets dans la description de l’épisode et en effet ce qui est sous-jacent, c’est de pouvoir être attentif en classe, de pouvoir se parler.
C’est important de pouvoir bien dormir et savoir être seul.
Donc les quatre pas, pas le matin, pas pendant les repas, pas avant de se coucher et pas dans la chambre de l’enfant.
On parlait des mécanismes qui se jouent quand même dans notre cerveau avec les écrans, du côté addictif des écrans, mais surtout de ce qu’il y a dedans, ce qui les alimente.
Et notamment là, on vient à la question des plateformes de contenu et des réseaux sociaux.
Là, on est dans une interdiction à faire observer concrètement lorsqu’on est parent.
C’est important d’interdire avant quel âge les réseaux sociaux, par exemple.
Alors, c’est important de respecter les limites d’âge de 13 ans pour les réseaux sociaux, de discuter, de s’informer avant sur les réseaux sociaux.
Il y en a qui sont quand même beaucoup plus addictifs et délétères comme TikTok.
Mais l’addiction, c’est aussi une addiction comportementale aux jeux vidéo.
Il faut respecter les limites d’âge, très important, et aussi s’intéresser au contenu.
Il y a des jeux qui produisent des addictions beaucoup plus fortement que d’autres.
Alors, l’addiction, c’est un mécanisme connu.
Mais la façon de créer de l’addiction, elle diffère d’une plateforme à l’autre.
Dans les jeux vidéo, ça va essentiellement…
Le mécanisme le plus puissant, c’est celui de la récompense aléatoire.
Sur les réseaux sociaux, on a tous les systèmes des likes, des ciblages aussi, de l’intérêt.
C’est très varié, il y a parfois aussi des processus qu’on ignore.
Par exemple, l’algorithme de TikTok, il est gardé secret, comme la recette de Coca-Cola, parce que c’est quand même ce qui fait sa fortune.
Mais les effets sont bien réels.
Et tout le monde l’observe, tous ceux qui ont eu TikTok entre les mains, sans forcément tout jeter en en parlant, mais c’est basé précisément sur le fait de pouvoir rester le plus longtemps possible en parcourant des vidéos quasiment à l’infini.
C’est un principe, si vous voulez, qui est d’ailleurs généralisé quand même, ce principe de TikTok partout, c’est que c’est une sursollicitation de l’attention réflexe.
Le fait que dès que vous avez du contenu saillant, de l’image, du mouvement avec des centres d’intérêt conformes aux vôtres, vous n’allez pas vous empêcher de regarder.
Et ces vidéos sont entre 7 et 21 secondes.
Donc voilà, ça défile, ça défile.
Et c’est beaucoup plus compliqué de trouver le bouton off, d’arrêter que de continuer à regarder.
TikTok n’est pas le seul.
Il y a aussi beaucoup de short vidéos sur YouTube.
Mais TikTok excelle à nous enfermer, à enfermer en particulier les adolescents dans des bulles parfois mortifères.
L’immense majorité des parents, évidemment, veut bien faire, veut toujours adopter le meilleur comportement dans son éducation pour ses enfants.
Mais il faut reconnaître que nous sommes les adultes prisonniers aussi, parfois, de ce type d’addiction.
Alors comment questionner avant de se questionner en tant que parent, comment se questionner soi-même pour pouvoir réinterroger son rapport aux écrans dans l’éducation qu’on donne à ses enfants?
Quelles sont les questions à se poser finalement?
Quand je reviens à la façon dont je procède avec une famille, je demande à l’enfant, rappelez-moi votre journée, mais je demande aussi aux parents, et vous?
Ce que je ne faisais pas au départ, puisque je n’avais pas encore forcément cette idée de l’importance de ce qu’on appelle aujourd’hui la technoférence, c’est-à-dire l’interférence des écrans du parent dans son rapport avec l’enfant.
Donc la première chose, c’est de se demander, mais comment ça se déroule ma journée?
Combien de fois?
Je le sors ce portable, je le consulte, on a des chiffres absolument affolants de connexion, on le touche presque toutes les dix secondes, je ne sais pas exactement.
Donc la première chose, c’est effectivement, qu’est-ce que j’ai fait?
Combien de temps?
Et aujourd’hui, par exemple, sur le téléphone portable qui est quand même le plus utilisé, vous avez le temps consacré, le temps que vous y passez, et puis par appli.
Donc c’est déjà une bonne chose, ça vous permet de vous en rendre compte.
Et après, c’est comment je m’en passe.
Parce que toutes ces applis sont conçues pour répondre au mieux à des .. besoins qui sont profondément humains.
Voilà.
Le besoin de jouer chez l’enfant, de se distraire chez l’enfant et l’adulte.
Le besoin d’être en contact.
Moi, j’adore mon téléphone parce que j’adore les contacts.
C’est horrible, quoi, aussi, je ne vais pas…
Voilà.
Donc, comment je peux me passer de ça?
Et la première question, je pense, c’est aussi, est-ce que je suis vraiment heureuse ou heureux après mes 6 heures, 7 heures de connexion?
Est-ce que je me sens bien?
Est-ce que ça m’est arrivé de passer des journées non connectées?
Comment je me suis senti à la fin?
C’est ça, la première chose.
Parce que l’objectif, on veut tous finalement se distraire et être plus heureux.
Mais est-ce qu’on a du plus de bonheur à être connecté 6, 7 heures?
Si la réponse est non, finalement, je ne me sens pas très bien.
Je suis un peu plus nerveux.
Je suis moins tolérant dans la discussion avec mon conjoint, avec mes enfants.
Dans mon corps, je ne me sens pas très bien.
C’est que certainement, il y a un lien entre ce temps passé et mon sentiment de mal-être.
Se questionner en tant qu’adulte, en tant que parent, et puis si on se replonge dans…
si on se représente une situation de la vie quotidienne où le parent, l’adulte ou le tonton, comme tu disais, a entre les mains ce téléphone portable et que l’enfant le voit faire, c’est souvent que se passe-t-il dans la tête de l’enfant lorsqu’il voit ses adultes décrocher d’eux?
Là, j’inverse le regard.
Alors, quand il s’agit d’un bébé qui doit construire un attachement sécurisé, sécurisant, qui doit apprendre à focaliser son regard sur un élément stable et en particulier privilégié, on va dire, le visage humain, alors c’est dramatique.
C’est-à-dire qu’il faut à peu près 12 heures, quand un bébé est né, il faut à peu près 12 heures d’échange de regard continu avec la maman, papa pour qu’un attachement se crée, c’est-à-dire que parmi toutes les perceptions que l’enfant qui se présente à l’enfant, les objets qu’il perçoit, les personnes, il est une préférence bien plus importante pour le visage de sa mère ou son père.
Aujourd’hui, les bébés naissent avec des mamans qui ont des habitudes de 7, 8 heures d’écran par jour, de portable, etc.
Donc ils n’ont pas l’habitude de regarder finalement les autres, les êtres humains.
Elles ont l’habitude de regarder leur portable, comme nous tous-là.
Alors, le mari s’en accommode à peu près, un conjoint s’y fait la même chose, mais le bébé n’est pas prêt à ça, lui.
Il doit construire un attachement de qualité, il doit construire le langage, il doit construire une attention focalisée.
Donc ces regards qui s’accrochent, le bébé, il est si …, il est programmé pour attacher son regard sur le regard de la mère, et notamment un attachement à ce qui est plus saillant sur le regard de la maman.
On a une attirance pour la saillance, c’est pour ça qu’on aime nos portables.
Mais sur le visage humain, ce sont les yeux et la délimitation pour le visage.
Mais si cette maman, elle s’interrompt régulièrement pour regarder son portable, à ce moment-là, le bébé va vivre des coupures de courant émotionnel et il va se sentir lâché, mais littéralement, comme s’il était jeté sur le sol.
Et au bout d’un moment, le risque, ce qui peut s’observer, c’est que finalement, il recherche moins ce contact.
Et que quand il commence à s’exciter, à s’agiter un peu, il arrive plus difficilement à se calmer dans les bras de cette maman qu’avec un téléphone qu’elle lui donne et qui va lui remplir les yeux et le cerveau de lumière, de sang, de bruit.
Et le calmer avec de manière mécanique et non pas humaine.
Le lien primordial à préserver est le lien entre les familles et la société autour de ce sujet.
Comment ça se construit?
J’ai envie de dire, on en parle quand même de plus en plus, mais on observe quand même que les familles sont un peu livrées à elles-mêmes quand même face à ça.
Le monde politique s’en empare.
Il y a quand même des régulations pour les plateformes, mais on observe une montée en puissance dans le discours d’une volonté en France, en tout cas de s’emparer de ce sujet.
Le Président de la République française, Emmanuel Macron, avait dit en janvier vouloir souhaiter déterminer le bon usage des écrans pour nos enfants, à la maison comme en classe.
Il dit qu’il en va de l’avenir de nos sociétés, de notre démocratie.
C’est une bonne nouvelle que le politique se saisisse de ça ou ça ne doit pas le regarder.
Alors, je pense qu’il faut être réaliste, s’il s’en saisit.
C’est parce que sur le terrain, dans les familles, dans les écoles, les parents n’arrivent plus à remplir leurs tâches éducatives face à des enfants qui sont parfois scotchés, H24.
J’ai des paroles de maman qui me disent souvent l’enfant, je l’ai perdu, il est dans la chambre à côté.
Mais elle a l’impression qu’il n’arrive plus.
Voilà, des enseignants qui sont débordés, enfin alarmés par l’incapacité des enfants à être attentifs.
Donc voilà, et sur le terrain, il y a beaucoup d’associations aussi qui alertent.
Donc, je pense qu’il ne pouvait pas faire autrement.
Maintenant, si vous voulez, pour revenir sur le terme, parce que tout ça est effectivement de la communication.
On a communiqué aux familles que ces outils étaient l’avenir, ils rendaient les enfants plus intelligents, plus heureux, etc.
Et on s’aperçoit que ce n’est pas vraiment le cas.
Donc maintenant, on a un discours beaucoup plus mesuré.
Mais prenons ce slogan que vous avez donné, le bon usage des écrans.
À partir du moment où on accepte, et on sait, on reconnaît qu’il y a un aspect addictif, ce n’est pas moi qui le dis, c’est les gens qui créent ces applis.
Ils ont recours à des addictologues.
Et bien, il n’y a pas pour les enfants un bon ou un mauvais usage.
Vous voyez, c’est comme si on disait, attention : “oui, mais il y a le bon usage du vin.
Il faut que les enfants apprennent quand même le bon usage de l’alcool.
Bon, un petit verre de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal, mais en continu, ça commence à faire des dégâts…”!
Vous voyez bien qu’on ne serait pas d’accord.
Donc voilà, c’est à peu près ça.
Oui, il y a un bon usage pour les adultes.
Les adultes, normalement, sont capables de régulation parce que les capacités de régulation sont matures à 25 ans.
Mais les enfants sont incapables.
Alors, ça ne veut pas dire qu’il faut interdire totalement les écrans, mais ça veut dire qu’il faut les mettre dans des temps limités avec du contenu de grande qualité.
C’est-à-dire un contenu qui n’est pas prévu pour essentiellement, capter, mais qui est aussi prévu pour éduquer, raconter une histoire.
J’ai l’impression, en t’écoutant, qu’on est un peu dans le début des sujets qu’on a pu connaître en termes de santé publique, en tout cas autour du tabac, autour de l’alcool, tu le citais.
On a besoin d’un discours de la société toute entière et pas seulement du politique.
Qu’en est-il du monde économique?
Car il y a forcément des arbitrages peut-être à faire en la matière.
Oui, bien sûr, le problème, c’est que ce n’est pas simplement un enjeu de santé publique, c’est que c’est un enjeu aussi politique-économique.
Ce sont des entreprises milliardaires.
Et nos gouvernements, alors celui d’Emmanuel Macron, mais les précédents aussi, ont décidé de vendre tous les secteurs ou de soumettre, disons tous les secteurs d’activité de la société au GAFAM.
C’est concrètement de numériser tout et maintenant, de mettre de l’intelligence artificielle partout, donc du point de vue de, sans qu’il y ait d’étude, sur les effets sur l’enfant et l’adolescent.
Donc c’est une sorte d’expérimentation à grand déchet.
Alors du point de vue évidemment des discours de prévention, on est exactement dans la même chose, mais probablement une chose d’ailleurs beaucoup plus grave qu’avec le tabac.
On a commencé une première période par louer ces objets.
C’était ce qu’il y avait de magnifique, d’éducatif, ce qui allait permettre de créer de l’intelligence collective, de rendre les enfants plus intelligents, plus éveillés, etc.
Dans un deuxième temps, comme les études, quand même, commencent à s’accumuler sur les effets délétères, les dégâts, le discours devient plus mesuré.
Et les gens comme moi, qui à … ne sont plus diabolisés, mais on n’en est pas du tout encore à se dire, il faut protéger les enfants.
On se dit pour l’instant, finalement, la surexposition, c’est la faute des familles qui ne font pas attention aux enfants.
Il y a une phrase, par exemple, qui m’agace particulièrement, que chaque média prend soin de prononcer avant de commencer une émission sur les écrans, au point que je me demande si elle n’a pas été soufflée, c’est il ne faut pas diaboliser les écrans.
Mais moi, j’en ai rien à faire, je ne suis pas payée par eux.
Par contre, ce que je ne veux pas, c’est qu’on diabolise les parents.
Parce que les parents, ils se sont retrouvés là-dedans, on les a obligés, on leur a vanté les mérites et maintenant, ils sont bien bien embêtés pour assumer leur charge parentale.
Voilà.
Alors c’est un point de vue dans ne pas diaboliser les écrans, on peut aussi entendre ne pas se culpabiliser si on en fait un bon usage.
Mais ça suppose de savoir en faire un bon usage, même si j’ai entendu les réserves que tu disais sur la notion de bon usage, car pour les enfants et de ton point de vue et de tes observations, c’est vraiment encadré très strictement dans la pratique.
Je renvoie nos auditeurs au site internet de ton collectif, je mets les liens dans la description, car il y a beaucoup de conseils par tranche d’âge, évidemment on n’a pas tout abordé, on n’a pas parlé, sauf en un mot, de l’accès involontaire à la pornographie des plus jeunes à cause des réseaux sociaux et des écrans, ou simplement des moteurs de recherche, lorsqu’ils peuvent les enfants taper des questions anodines et banales.
Et puis en librairie, on te retrouve avec ton ouvrage, il ne décroche pas des écrans, comment protéger nos enfants.
Je mets toutes les références dans la description de cet épisode.
Merci pour ces conseils et ce témoignage aussi de terrain dans ta pratique.
Merci d’être passée dans Soluble(s).
Voilà, c’est la fin de cet épisode.
Si vous l’avez aimé, notez-le, partagez-le et parlez-en autour de vous.
Vous pouvez aussi nous retrouver sur notre site internet www.csoluble.media
À bientôt !
POUR ALLER PLUS LOIN
- Lire le livre : “Il ne décroche pas des écrans ! Comment protéger nos enfants et nos adolescents” par Sabine Duflo (Ed. L’échappée)
- Le site du CoSE – collectif surexposition écrans
- Télécharger l’affiche citée dans l’émission : Les 4 PAS la méthode de prévention de Sabine Duflo
Et aussi :
- L’étude de Santé Publique France (12 avril 2023) : Temps d’écran de 2 à 5 ans et demi chez les enfants de la cohorte nationale Elfe
- TV– Les recommandations de l’Arcom
- Pornographie : s’informer sur les outils de contrôle parental : jeprotegemonenfant.gouv.fr
TIMECODES
00:00 Introduction
01:29 Le parcours de Sabine Duflo
03:28 Écrans : “Dès lors qu’il y a exposition, il y a un risque de surexposition”
05:12 Comment évaluer le temps d’écran à autoriser
07:07 Les smartphones et l’explosion du temps passé
09:30 Observations de terrain
11:46 Les “4 PAS” la méthode de prévention de Sabine Duflo
15:21 Les limites d’âge
18:01 Les adultes doivent questionner leur propre rapport aux écrans
20:46 Le regard des mamans sur leur bébé et son interruption par la consultation du smartphone
24:05 L’action des pouvoirs publics
29:34 Merci à Sabine Duflo !
Fin
Propos recueillis par Simon Icard.
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Simon
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